John Scalzi : une interview
John Scalzi aux Utopiales de Nantes 2018 - Photo prise par Anudar Bruseis. |
J'ai eu le privilège d'interviewer John Scalzi aux Utopiales cette année. L'auteur du Vieil homme et la guerre, de Deus in machina et de The Interdependency Series a eu la gentillesse de se prêter à cet exercice pour lequel, même s'il ne s'agissait pas de ma première interview, je ne suis pas tout à fait rôdé - d'autant plus que celle-ci a eu lieu en anglais du début jusqu'à la fin...
Anudar : bonjour, M. Scalzi, et merci beaucoup d'être venu à cette interview ! Commençons avec un certain nombre de questions au sujet de votre série The Interdependency : dans ces livres, vous nous parlez d’un empire galactique dépendant – pour connecter entre eux des systèmes stellaires éloignés – d’un phénomène naturel, le « Flux ». C’est une histoire de notre futur lointain : quand donc sommes-nous censés découvrir le « Flux » et fonder l’Interdépendance ?
John Scalzi : eh
bien, je suppose que la découverte va intervenir dans les prochains
siècles. La fondation de l’Interdépendance quant à elle aura
lieu quelques siècles plus tard, et l’histoire elle-même devrait
commencer dans un millier d’années environ...
Le « Flux » s’effondre, et il semble qu’il n’y
ait aucun moyen de l’empêcher : de ce fait, l’Interdépendance
promet de s’effondrer tôt ou tard. Quand j’étais adolescent,
j’ai lu le Fondation d’Isaac Asimov : j’ai
l’impression qu’il existe une connexion entre l’Empire
galactique en pleine décadence d’Asimov et votre Interdépendance
prête à s’écrouler. Pourriez-vous m’en dire plus ?
Beaucoup
de gens établissent une connexion entre les deux cycles. Toutefois,
il n’y en a pas vraiment car cela fait vraiment très longtemps que
je n’ai pas relu le Cycle de Fondation ! J’ai
été beaucoup plus influencé par Dune, car il y a
aussi dans ce livre des Maisons commerçantes, un Empereur qui
cherche à tout contrôler, et ainsi de suite… Dans Dune,
l’Empire change pour des raisons politiques, alors que dans The
Interdependency c’est à cause de raisons naturelles. J’ai
été influencé aussi par The Goblin Emperor de
Katherine Addison : on pourrait dire que l’Emperox Cardenia
est une réminiscence de l’Empereur dans ce livre-là !
A
ce sujet, l’Empire galactique d’Asimov s’effondrait parce que
c’était le destin humain qui le voulait, alors que
l’Interdépendance va disparaître à cause d’un phénomène
naturel qui a été modifié sans réflexion par les êtres
humains. Je ne peux m’empêcher de trouver qu’il y a là
quelque allusion à notre propre époque...
Je vis
de nos jours, et j’écris pour mon époque. Toutefois, il ne faut
pas tout prendre dans mes livres pour une allusion à ce que nous
vivons ! Souvent, je suis surpris de la façon dont les gens
interprètent la Rupture dans The Consuming Fire comme une allusion au Brexit… Les allusions au Brexit ou au
changement climatique, dans ce livre, ne sont pas tout à fait
voulues. Par contre, il s’y trouve des allusions que j’ai
vraiment planifiées : la courte-vue de l’humanité, par
exemple, en fait partie !
The
Interdependency est un space-opera, et sa structure
politique – ainsi que vous l’avez dit plus tôt – évoque très
volontiers celle de Dune, mais aussi celle de Star Wars. Toutefois, les intrigues entre Grandes
Maisons évoquent celles du Trône de Fer :
comment avez-vous construit cet univers ?
Je suis
parti de l’idée du « Flux », qui aide les gens dans mon histoire à
voyager d’un lieu à un autre avec des vaisseaux spatiaux. C'est à partir de cette
toute première idée que l’univers s’est construit tout seul – et
c’est là que j’ai eu l’idée d’un Empire en train de
s’effondrer.
Le
vieil homme et la guerre est un autre space-opera que vous
avez écrit : j’ai lu cette œuvre de SF militaire il y a
dix ans, puis j’en ai lu plusieurs des suites. Qu’est-ce qui
vous a conduit à l’écrire ?
Il
n’était pas prévu au départ d’en faire une série : je
n’avais prévu qu’un seul livre. Je voulais vendre un roman de
SF, et j’avais vu qu'en librairie la SF militaire était partout. Alors, j’ai
fait en sorte d’écrire un roman de SF militaire que j’aurais
aimé lire moi-même : je voulais utiliser les stéréotypes de
la SF militaire, mais je voulais qu’ils soient filtrés et
réinterprétés par moi.
Ce que j’aime le plus dans ce cycle, c’est l’humour
noir dont les personnages font preuve. Diriez-vous qu’il s’agit
de votre marque de fabrique ?
Je suis
réputé user d’humour dans mes livres, parce que je crois que
l’humour fait partie de la condition humaine. Même dans les
époques les plus sombres, les gens continuent à se raconter des
blagues. C’est étrange, de lire un livre où les personnages ne
plaisantent pas ! L’humour, c’est un talent : tous les
auteurs ne sont pas capables d’en faire. C’est l’une des choses
que je sais faire, alors j’en fais.
Dans cet univers, les personnes âgées obtiennent le
droit à une seconde jeunesse en acceptant de servir dans les troupes
spatiales. Quand elles sont devenues des soldats, c’est pour
découvrir qu’elles sont désormais pour partie des machines et pour autre partie des OGM… Ces super soldats sont-ils encore humains ?
Eux-mêmes se le demandent tout au long de l’histoire !
La réponse la plus simple est « non », bien sûr,
car ils sont reconstruits en entier, ADN compris. Ils ne sont pas
humains, mais ils restent malgré tout assez humains : leur forme
est humaine, tout comme leurs cerveaux et leurs préoccupations…
Donc, ils ne sont pas isolés de la condition humaine – et c’est
vraiment important parce que, si c’était le cas, il faudrait se
demander pourquoi ils continueraient à se battre… En un sens, ils
sont même plus qu’humains – et c’est pour ça qu’ils ont
besoin de s’accoutumer à leurs corps au camp d'entraînement.
Cette
saga nous parle de soldats atypiques : ils ne sont pas jeunes
mais âgés ; ils renoncent à leurs anciens corps au profit
de nouveaux ; ils se battent pour la Terre mais ils ne
pourront pas y revenir au terme de leur engagement. Tout ici semble
presque parodique : est-ce intentionnel ?
Ce
n’est pas censé être parodique, parce qu’ils croient que
certaines choses vont leur arriver… alors que ces choses ne se
produisent en fait pas. Ils ne savent pas qu’ils vont obtenir de
nouveaux corps, ils ne savent pas qu’ils vont disposer de nouvelles
capacités : quand cela leur arrive ils n’ont pas le choix, ils doivent faire avec. Ils doivent accepter ces changements : s’ils
n’en étaient pas capables, c’est là qu’il y aurait eu
parodie.
L’histoire
politique de la France possède une relation complexe avec celle de
son armée : par exemple, notre premier Président fut élu en
1848, a fait un coup d’État militaire en 1851, est devenu notre
dernier Empereur l’année suivante et fut détrôné après une
série de défaites militaires au début de la guerre
Franco-Allemande de 1870. De nos jours, la SF militaire semble
mettre certains lecteurs français mal à l’aise… Qu’en
est-il aux Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon ?
L’opinion
du public aux Etats-Unis, quand on parle de SF militaire, est loin
d’être univoque. La relation des Etats-Unis à leurs forces armées
diffère de celle de la France : de nos jours, elle est plutôt
positive, mais elle change par cycles et par exemple,
il y a quarante ans cette perception était vraiment négative. Les
gens comprennent que la SF militaire, c’est de la fiction : il
n’est pas nécessaire d’avoir une perception négative ou
positive de la fiction ! Souvent, on pense que la SF militaire
est écrite et lue par des gens de sensibilité conservatrice, et
c’est un vrai problème : quand j’ai écrit Le vieil
homme et la guerre, des gens ont cru que j’étais
conservateur, sont venus sur mon site Web et ont pu constater à quel
point ils s’étaient trompés ! En fait, ce n’est rien
d’autre qu’un genre. Un petit nombre de personnes peut penser
autre chose, mais pour la majeure partie du public ce n’est jamais
que des histoires de guerre dans l’espace...
Diriez-vous que la SF militaire est un genre qui domine le reste de la SF de nos jours ?
Le genre le plus populaire, c'est le space-opera, et il existe d’autres
genres en SF qui sont plus populaires que la SF militaire. Les livres
de SF militaire qui ont été les plus populaires sont des livres
tels que La Justice de l’Ancillaire d’Ann Leckie.
La SF militaire, ce n’est toutefois pas de la SF de très haut
niveau : les gens qui aiment la SF de haut niveau devraient
plutôt lire La Cinquième Saison de N.K. Jemisin !
On pourrait dire que la SF militaire, c’est de la nourriture de
réconfort : on peut en vivre, mais ce n’est pas la meilleure
qui existe.
Quand j’entends parler de certains livres de SF
militaire, je ne peux m’empêcher de penser qu’ils ont été
écrits par des esprits conservateurs pour satisfaire des lecteurs
conservateurs. D’autres livres – les vôtres, bien sûr, mais
aussi le Warchild de Karin Lowachee et la Saga de l’Empire Skolien de Catherine Asaro – ne semblent pas
s’aligner ainsi : diriez-vous qu’il existe un clivage dans
le paysage éditorial de la SF militaire ?
Les
conservateurs, aux Etats-Unis, ont tendance à s’intéresser à ce
qui touche à l’armée : il existe ici une affinité naturelle
mais qui n’est en rien obligatoire, et en effet des auteurs peuvent
écrire de la SF militaire sans pour autant être de sensibilité
conservatrice. Il existe aux Etats-Unis un groupe d’écrivains
conservateurs croyant que leurs idées sont les plus proches de ce
que la SF devrait être : ils peuvent partager leurs idées,
mais il en existe d’autres idées, d’autres prospectives… Il
existe bien assez d'espace pour que chacun puisse trouver sa propre
place !
Je remercie à nouveau John Scalzi pour son temps et pour les réponses qu'il a bien voulu m'apporter, en espérant qu'elles seront tout aussi intéressantes pour vous qu'elles l'ont été pour moi.
Je remercie à nouveau John Scalzi pour son temps et pour les réponses qu'il a bien voulu m'apporter, en espérant qu'elles seront tout aussi intéressantes pour vous qu'elles l'ont été pour moi.
Commentaires
Reste à attendre que l'Atalante traduise ce cycle.
Sinon oui, c'est clairement un auteur qui se montre chaleureux et souriant y compris avec les blogueurs aux questions tordues comme moi !
Belle interview ;)
Merci :)
Merci beaucoup pour cette interview.
De rien :)