La mort immortelle

L'histoire que Liu Cixin avait amorcée dans Le problème à trois corps et poursuivie dans La forêt sombre (que j'avais lu en version anglaise) trouve sa fin dans ce livre au titre énigmatique...
Résumé : 
Le programme Colmateur a donné des fruits inattendus : le chantage à la "forêt sombre" donne lieu à une dissuasion nouvelle... Devenu Porte-Epée, Luo Ji guette les premiers signes de l'assaut trisolarien, prêt à faire scintiller le Soleil et à dévoiler ainsi en même temps à la "forêt sombre" les coordonnées stellaires du système solaire et celles de Trisolaris. La flotte trisolarienne a les mains liées : sa supériorité reste écrasante, mais elle ne peut s'en servir sans risquer de voir le Porte-Epée mettre la menace à exécution. Une ère nouvelle commence pour l'espèce humaine comme pour l'espèce trisolarienne, celle de la coopération contrainte et forcée... Mais Luo Ji n'est pas immortel et il faudra tôt ou tard que quelqu'un le remplace en tant que Porte-Epée : pour le meilleur ou le pire, l'espèce humaine choisira Cheng Xin, une jeune femme qui - au tout début de l'ère de la Grande Crise, a participé au programme Escalier dont l'objectif a été de faire transporter un cerveau humain par une sonde-espion en direction de l'essaim trisolarien. Alors que les intérêts humains deviennent plus flous que jamais - faut-il ou non accepter les transferts scientifiques des Trisolariens ? - et que la société humaine se met à changer, ce choix était-il bien le plus rationnel ? Et comment, au fond, assurer la survie de l'espèce dans un univers où règne la méfiance incarnée par la "forêt sombre" ?
Jadis, Ivan Efremov décrivait dans son cycle ouvert par La Nébuleuse d'Andromède une galaxie peuplée d'intelligences portées à la coopération plutôt qu'à la compétition, à la paix plutôt qu'à la guerre - et où même les différences impliquées par la biochimie n'étaient pas insurmontables : si le conflit restait possible, c'était par un accident de l'histoire à savoir le maintien à l'âge de l'espace d'aberrations fascistes. La vision de Liu Cixin n'est à tout le moins pas aussi positive que celle d'Efremov : la galaxie qu'il décrit n'est rien d'autre qu'une juxtaposition de bunkers où se terrent des espèces intelligentes, lesquelles se gardent qu'on puisse les détecter depuis l'extérieur - bunkers entre lesquels rôdent les prédateurs, capables de faire détonner une étoile ou pire encore, de modifier les lois de la physique et de s'en servir comme d'une arme. Ainsi la galaxie dans laquelle se déroule cette histoire est-elle hostile et menaçante : utiliser certaines technologies, c'est risquer de se manifester au grand jour - et c'est donc risquer de se faire éliminer du plateau de jeu, certains stratèges préférant prendre les devants et faire disparaître un ennemi potentiel avant qu'il n'ait le temps de se faire trop dangereux. Le gambit de Luo Ji a suffi - en apparence - à faire plier les Trisolariens : il n'y aura pas de nouvel avertissement, et c'est ainsi que s'établit un nouvel équilibre de la terreur.

L'espèce humaine a connu - connaît encore de nos jours - une ère d'équilibre de la terreur interdisant la guerre ouverte entre les nations disposant de l'arme nucléaire : l'existence d'une technologie permettant d'éliminer l'adversaire - ou de garantir son élimination en représailles s'il parvenait à vous éliminer le premier - permet de maintenir une paix des plus inconfortables. C'est un fait que les Etats-Unis ont tenté, après trente-cinq ans d'équilibre de la terreur, de trouver un moyen de contourner la dissuasion nucléaire. Sans surprise, les Trisolariens de Liu Cixin cherchent eux aussi à sortir de l'impasse : ils ne désirent pas renoncer au système solaire, plus accueillant que le leur. Pour dépasser l'équilibre de la terreur imposé par l'existence de la "forêt sombre", il faut donc ruser pour amener l'espèce humaine au désarmement. Ce schéma sera en fait celui de l'ensemble du livre : toute confrontation peut se résumer à un duel de volontés, que pourra remporter celui qui aura au mieux masqué ses intentions - et des confrontations, il y en aura beaucoup dans cette histoire, qu'elles se fassent entre humains, ou entre humains et extraterrestres. Au fond, si la Terre est condamnée assez tôt dans ce livre, l'enjeu réel de La mort immortelle est de montrer que la mémoire humaine peut être sauvegardée : ce qui fait l'espèce humaine, ce n'est pas tant l'endroit où elle vit que ses rêves, son art et en un mot sa mémoire.

Si l'on ne peut critiquer l'intérêt de ce propos science-fictif, on pourra en revanche trouver le développement qui le sert un peu long, pour ne pas dire longuet : l'histoire de Cheng Xi - qui sert de fil rouge à ce livre - s'étire sur plus de huit cents pages soit donc des milliers puis des millions d'années. Au fond, l'intrigue ouverte par Le problème à trois corps devient presque secondaire au fur et à mesure que se développe l'ambition universelle de Liu Cixin : sa SF ne questionne pas tant l'être humain et sa relation à la réalité que la réalité elle-même dans sa nature physique. Les lois de la physique sont un carcan impossible à dépasser pour l'espèce humaine, condamnée par la frappe préventive des Trisolariens puisque d'autres civilisations dans la galaxie ont jadis appris à tricher avec elles... Liu Cixin imagine donc un univers où un aspect de la guerre consiste à rendre les lois de la physique toujours plus restrictives - jusqu'à ce que la disparition de toutes les dimensions entraîne un nouveau Big Bang. L'idée n'est pas inintéressante, elle est même belle, mais elle ne convainc pas tout à fait compte-tenu de la longueur déjà évoquée du développement : la dernière page tournée, La mort immortelle ne laisse aucun souvenir désagréable... mais ne laisse pas, non plus, l'impression de révélation lumineuse que laissent les excellents livres. Tant pis !

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Commentaires

Le Maki a dit…
Je me suis arrêté au tome I, je pense que la tournure que cela va prendre dans le II ne me plaira pas et ta dernière phrase sur le tome III ne m'incite pas à changer d'avis.
Anudar a dit…
Je ne suis pas mécontent d'avoir terminé cette série, même si elle ne tient pas de l'indispensable à mes yeux...
XL a dit…
et moi qui hésitais à la commencer... je vais passer mon chemin
Anudar a dit…
Le premier livre de la série mérite quand même d'être lu.
Anonyme a dit…
Bonjour, je n'avais pas trop accroché au 1er tome. Les 2 suivants m'ont, par contre, tenu jusqu'au bout. La plume du traducteur est à mon sens très belle, très agréable à lire. ce qui facilite la lecture de certains passages un peu longuets - mais l'auteur prend le temps de poser, chaque fois, son environnement.
L'histoire m'a tenu en haleine tout du long, même si les personnages ne sont pas toujours très épais. par contre c'est le foisonnement des idées, la proposition de réponse au paradoxe de Fermi, et toute la fin du roman, qui m'a vraiment séduit.
Anudar a dit…
Bonjour et bienvenue ici !

Liu Cixin avait en effet beaucoup d'idées, qu'il dévoile essentiellement dans le dernier volume de sa trilogie. Le premier semble un peu à part... Au fond, c'est une oeuvre de hard-science bienvenue !