Le meurtre de Roger Ackroyd
Agatha Christie est-elle la reine du roman policier ? Son oeuvre est en tout cas très bien reconnue au-delà du seul fandom policier. J'ai eu - il y a longtemps - une période où je m'y suis intéressé : j'ai lu ainsi ceux de ses romans parmi les plus importants que sont Le crime de l'Orient-Express et Dix petits nègres. Pour une raison ou pour une autre toutefois, je ne me suis jamais penché sur Le meurtre de Roger Ackroyd bien que les recherches que j'ai faites au préalable de cette chronique m'aient montré son importance dans l'oeuvre d'Agatha Christie : cette lecture m'a en fait été recommandée par ma mère, dont les goûts ne recoupent en général pas trop les miens... Alors, qu'en est-il de ce roman au titre ambigu ?
Résumé :
Roger Ackroyd est un riche industriel, veuf depuis quelques années, sur le point de se remarier avec une veuve. Son univers bascule quand sa future seconde épouse met fin à ses jours : le Dr Sheppard est présent avec lui le soir même où il reçoit de sa part une lettre posthume contenant le nom de son maître-chanteur. Dans la même soirée, Ackroyd est assassiné ! La police est perplexe : il y a sur place beaucoup de suspects potentiels, beaucoup d'alibis... et aussi beaucoup de mystères. Mais par chance, le fameux Hercule Poirot - détective privé de son état - s'est installé dans la maison voisine de celle du Dr Sheppard. Poirot pourra-t-il aider la police à résoudre l'énigme du meurtre de Roger Ackroyd ?
Un meurtre au sein de la "haute", un héritage, des familiers endettés, un enfant caché, des sentiments contrariés : c'est avec le plus grand soin qu'Agatha Christie gratte le vernis de cette petite société de riches indolents, qui vit à cette époque charnière entre le long XIXème siècle achevé dans les tranchées du premier conflit mondial et le court XXème siècle ouvert par la Révolution d'Octobre. La classe servile fait ici partie du décor - mais à la différence d'un meuble ou d'un bibelot le domestique est un individu conscient et agissant, qui peut ne pas avoir toujours les meilleurs intérêts de son maître à l'esprit. Le maître quant à lui s'en rend compte et se plaint parfois de l'incapacité - voire de l'indélicatesse - du domestique sans jamais s'interroger quant à l'éventuelle péremption de son propre système de valeurs.
La tension est donc aussi feutrée que réelle entre ces individus aux intérêts contradictoires qui doivent pourtant cohabiter mais aussi coopérer : qu'un événement imprévisible vienne briser la monotonie du quotidien et c'est tout l'édifice qui se met à tanguer voire même à s'effondrer... L'argent et le pouvoir qu'il représente, sans surprise, constituent le sujet principal de cette intrigue : ceux qui en ont sont sollicités d'une façon ou d'une autre par ceux qui n'en ont pas - ou pas assez à leur goût - quitte à ce que ces sollicitations s'affranchissent des contraintes que dicte la morale. C'est donc une histoire plutôt sinistre qui nous est racontée ici : une histoire où l'envie conduit au mensonge et le mensonge au crime. Quel est au fond le statut de la vérité dans Le meurtre de Roger Ackroyd ? Celle-ci apparaît tout à fait relative : chacun de ces personnages - Poirot y compris ! - ment à un moment ou à un autre, qu'il s'agisse pour lui de se protéger (ou de protéger quelqu'un d'autre) ou qu'il s'agisse de dresser deux antagonistes l'un contre l'autre. Quant à la résolution de l'énigme criminelle, ce n'est qu'une cerise sur le gâteau : l'inspecteur de police ne fait au fond que se demander à qui profite le crime - alors que Poirot pose en creux d'emblée la bonne question, en se demandant qui a été le dernier à voir Ackroyd vivant ? Car en effet, dans cet écheveau de mensonges et autres demi-vérités, il sera plus simple de procéder par éliminations successives - et d'en déduire que si tout le monde ment, alors le dernier à mentir est bel et bien l'assassin, l'identification de son mobile pouvant venir dans un deuxième temps...
C'est donc ici un roman policier des plus réjouissants qui nous est offert par Agatha Christie, un roman à lire deux fois - une première fois en se laissant porter par les bizarreries de Poirot, et la deuxième pour essayer de se mettre dans la peau du rusé petit homme. C'est à ce prix que l'on pourra bel et bien apprécier Le meurtre de Roger Ackroyd pour ce qu'il est : un classique du genre, éblouissant d'intelligence.
Commentaires
Merci pour le tuyau... mais alors, qui a *vraiment* tué Roger Ackroyd :p ?