Trottoir à 12 h 10

J'ai poursuivi ma lecture du recueil Danses aériennes de Nancy Kress : avec Trottoir à 12 h 10, elle nous offre un texte assez court au titre énigmatique...
Résumé : 
Sarah est âgée : à plus de cent dix ans, elle est au soir de sa vie et envisage de tirer sa révérence... Sarah est une mère débordée, que son travail dévore tout autant que ses enfants et qui se débat dans une relation compliquée avec un mari odieux. Il y a Sarah qui, depuis le siège où elle va dépenser une part de l'héritage de ses petits enfants, cherche à revivre un moment-clé de sa vie... et il y a Sarah qui, sur le trottoir à 12 h 10, pousse un cri primal de désespoir. Existe-t-il entre elles un autre lien que celui que le souvenir a fossilisé ?
D'un bout à l'autre du temps, les deux âges de la vie de Sarah se répondent. Il y a d'un côté la femme encore jeune que les nécessités du présent - voire de l'instant - accaparent presque avec cruauté ; il y a de l'autre celle qui se souvient d'époques à présent révolues. Dans ce futur où l'un des enfants de Sarah gît pour l'éternité dans les sables de Mars, un procédé permet d'observer le passé : procédé dispendieux et pourtant mal compris, car si la théorie qui le sous-tend devrait lui permettre d'observer aussi le futur, cela ne marche pas et nul ne sait pourquoi. Entre la femme qui se débat dans l'instant, et celle qui cherche à observer ce qu'il se passe à une vie de distance, l'auteure questionne avec une certaine finesse la relation au temps de l'être humain : le temps passe à une vitesse plus ou moins rapide selon le caractère agréable - ou non - de l'expérience que l'on vit et c'est ainsi que certains instants peuvent durer une éternité.

Pour Sarah, ou en tout cas pour la version plus âgée d'elle-même, l'enjeu est peut-être d'apporter d'une façon ou d'une autre une part de relativité dans l'expérience cruelle qu'elle a elle-même vécue sur le trottoir à 12 h 10. Existe-t-il un moyen qui permettrait de contredire le sens de la flèche du temps ? Le texte de Nancy Kress, de façon étrange, laisse entendre que l'expérience contraire à celle de l'instant - soit donc, celle d'une vie - pourrait accomplir ce prodige au moment même de l'extinction de la conscience. La conclusion de Trottoir à 12 h 10 se révèle donc elle-même énigmatique : si le destin de Sarah semble ouvert, on ne saurait trop dire s'il l'est selon le schéma décrit par la version âgée du personnage - ou bien si la volonté de celle-ci, à travers le temps, lui a permis de prendre une orientation inattendue. C'est en tout cas un paradoxe temporel original que Nancy Kress nous sert ici : le texte est court, mais les implications de ses idées sont des plus intéressantes...

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