Les Sorcières tome 2 : Inferno

De Dufaux, j'ai déjà eu l'occasion de parler plusieurs fois grâce à sa fameuse Complainte des Landes perdues : allié à Tillier, il a publié ces derniers temps le second volume du cycle Les Sorcières, qui est le troisième de la saga.
Résumé : 
Les sorcières ont-elles encore l'influence nécessaire pour choisir leur propre champion ? L'une d'entre elles, piégée dans un corps monstrueux, distille ses maléfices auprès de la reine Jamaniel - alors que sa sœur tente de persuader leurs semblables de se ranger sous la bannière d'Elgar, le Prince des Marches et l'héritier légitime du trône... Mais la sorcière Sanctus ne l'entend pas de cette oreille : pour elle, seul Vivien des Aguries - porteur du sceau de l'Inferno Flamina - peut rendre aux sorcières les services qu'elles attendent. Or Vivien est un fils bâtard du roi Brendam et l'objet de la haine d'Elgar et de Jamaniel, prêts à tout pour assurer leur main-mise sur le royaume... La couronne s'apprête à changer de tête et les événements se précipitent : si les sorcières parviennent à sauver Vivien in extremis du piège que ses ennemis lui ont tendu, seront-elles en mesure de le protéger à nouveau tandis que la reine cherche à ressusciter le terrifiant Tête Noire ?
Complots, malédictions et assassinats : ce sont là tous les ingrédients de la tragédie - et après un premier volume pas tout à fait bénin où le personnage principal connaissait lui-même une résurrection, il fallait bien que la situation se fasse plus inquiétante encore. Sur le front politique, la position de Vivien se fait plus précaire que jamais : bien qu'aimé du roi, il est détesté par sa belle-famille qui voit en lui un obstacle dans la conquête du pouvoir ; prince naïf élevé à distance de ce qui tient lieu de capitale à ce petit royaume du Haut-Moyen-Âge, il est loin de se douter que ses adversaires sont prêts à tous les crimes (y compris les plus révoltants) pour le faire tomber. Les intentions de Vivien sont pures, et son affection pour le roi est sincère : le personnage est donc bien fragile dans un univers où les enjeux de chacun sont toujours dissimulés. Il faut dire que ses alliés eux-mêmes ne lui révèlent pas toujours ce qu'ils savent - à tel point que l'on se demande, parfois, s'il n'est pas leur jouet comme il peut l'être de ses ennemis ! Les sorcières, en particulier, restent ambiguës : on trouve d'un côté Brynia et sa répugnante sœur, qui semblent privilégier la famille de la reine Jamaniel, et de l'autre Sanctus et ses suivantes - mais les raisons qui expliquent et justifient cette ligne de fracture sont encore bien floues. Le nom de Sanctus est connu du lecteur du cycle précédent : Sanctus y était décrite comme une sorcière devenue fée - soit donc, passée du mal au bien. Ce cycle serait donc encore antérieur au précédent et l'on assisterait ici peut-être aux premières étapes de la transformation de Sanctus... même si, pour le moment, la fée n'en est pas encore une et que le personnage semble explorer la pénombre plutôt que la pleine lumière.

Si l'histoire de Vivien est l'argument principal de cet album, et si le destin du personnage y joue un rôle central, il est clair qu'il ne saurait tirer son épingle du jeu à lui seul. De nombreux personnages féminins se révèlent tenir des rôles de premier plan : outre Sanctus déjà citée plus haut, la jeune Oriane que l'on dit fille de Tête Noire se révèle aussi charmante que badass à ses heures... Dans cette histoire de filiations contrariées qui recèlent leurs lots de malédictions - Vivien est le fils d'une femme dont la lignée semble marquée par la folie, alors qu'Oriane est le seul enfant d'une créature démoniaque et peut-être immortelle - il semblait inévitable que les destins de ces deux-là soient liés : de la même façon que certains fruits pourrissent par le centre, les âmes bien-nées de ce royaume sont odieuses alors que ceux qui gravitent à distance du château royal semblent encore à la hauteur de leur propre dignité. La fantasy est belle quand elle ne se contente pas de montrer rois, reines, chevaliers, sorcières et enchantements mais qu'elle prend soin de gratter le vernis du décor pour montrer l'ambiguïté de la condition humaine. Le droit est ici du côté de Jamaniel et d'Elgar - mais pourquoi ces deux-là ont ils alors recours à la trahison, au poison et au meurtre pour asseoir leur pouvoir ? La légitimité se trouve du côté de Vivien - mais pourquoi renonce-t-il à pousser son avantage une fois celui-ci acquis ? C'est que personne, dans cet univers, n'est certain de sa propre position - et les princes, pas plus que leurs hommes de main... ou que les sorcières.

Montrant donc des sorcières plus humaines que ne l'étaient les Moriganes du précédent cycle, et se concentrant sur des personnages humains beaucoup moins manichéens que ceux des albums précédents, Inferno se révèle très abouti et à même de donner une profondeur nouvelle à toute la saga. Bravo !

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