Dark saison 2

J'ai parlé il y a quelques mois de Dark : une série allemande au titre aussi étrange que son ambiance, dont l'argument était celui du voyage temporel qu'elle parvenait à traiter de façon plus qu'originale. Autant dire que j'avais été emballé : en toute logique, j'attendais la suite avec une certaine impatience...
Résumé : 
Huit mois ont passé à Winden. En juin 2020, les habitants de la ville sont toujours sous le choc des multiples disparitions inexpliquées de l'automne précédent ; en juin 1987, Mikkel vit chez Ines dont il devient le fils adoptif et tente d'oublier son passé vécu en 2019 ; en juin 1954, Helge va réapparaître muet alors que tout le monde le croyait mort sous les coups d'Ulrich désormais interné à l'asile psychiatrique. Pour avoir suivi les conseils de l'Etranger, Jonas est maintenant coincé en 2053 - une époque où Winden est un champ de ruines et où sa centrale nucléaire s'est changée en zone interdite gardée par une milice de fanatiques suite à l'apocalypse de juin 2020... S'il veut revenir chez lui et s'il veut avoir une chance de réparer toutes les époques, il va devoir se faire lui-même voyageur du temps. Pourra-t-il y arriver sans en payer le prix ? Et s'il y arrive, ne risque-t-il pas de tomber sur un ennemi plus redoutable encore que l'inquiétant Noah ? Au fond, qui contrôle le temps à Winden : est-ce le mystérieux "diable blanc" dont parle Helge une fois sorti de son mutisme... ou bien est-ce l'onctueux Adam auquel Noah obéit ?
Dans Dark, les époques sont synchronisées par des cycles de trente-trois ans. 1954, 1987, 2020 : quelques mois après les événements de la première saison, les couloirs temporels de la grotte se sont refermés si bien que pour passer d'un terme du cycle à un autre il convient d'utiliser la machine temporelle dont la construction était l'un des enjeux du début de la série. Les époques étant synchronisées, le spectateur suit les développements de l'intrigue dans le physio-temps - pour reprendre l'expression développée par Isaac Asimov dans La Fin de l'Eternité - si bien que les personnages grandissent, vieillissent ou meurent de façon linéaire dans l'expérience de l'observateur. Mikkel a désormais douze ans, il termine une année de Sixième à Winden et adopte une nouvelle identité - celle de Michael appelé à devenir le père de Jonas. Le temps se révèle toujours plus implacable : si les époques s'intriquent, ce n'est pas pour autant que le destin en devient plus malléable. On savait déjà qu'en cherchant à bien faire, les personnages risquent d'être piégés dans le temps : on apprend désormais qu'en voulant réparer à l'aveuglette les événements qu'ils perçoivent comme négatifs, les voyageurs du temps ne font en réalité que les rendre encore plus inéluctables. Même si Mikkel/Michael semble déprimé à l'approche de la date à laquelle il sait que s'est suicidé le père de Jonas, il ne semble pas avoir encore planifié son projet. Même si Claudia cherche à protéger son père, son insistance à le faire emménager chez elle ne risque-t-elle pas d'éveiller sa méfiance ? 

L'Enfer est pavé de bonnes intentions : pour que les époques de Winden soient "réparées", il faudrait en fait que les cycles soient brisés. Avec l'irruption de deux nouvelles époques - 2053 et 1921 - il sera pourtant difficile au voyageur du temps qu'est Jonas d'accomplir la mission désespérée qu'il s'est fixée... Il faut dire que le jeune homme est novice - mais qu'il est surtout fragile et disposé à être manipulé par des individus qui en disent moins qu'ils n'en savent. Au fond, l'Etranger qui l'a guidé jusqu'en 2052 est-il tout à fait bienveillant ou bien n'agit-il pas ainsi pour mieux garantir sa propre existence ? Et que cherche Adam qui l'accueille en 1921 et lui offre de briser les cycles pour de bon en empêchant son père de se suicider ? Le destin du jeune homme semble moins libre que jamais, alors que ce qui est en question ici est l'hybris de quelques-uns - alors même que l'apocalypse peut-être nucléaire barre le futur de Winden. Libérant un portail temporel instable, cet événement montre que l'heure n'est plus à l'existence d'un procédé unique de voyage dans le temps : les couloirs au fond de la grotte se refermaient, la machine elle-même - bien que multipliée à la faveur des aller-retours entre époques - restait contrainte par l'existence des cycles... mais le portail, quant à lui, semble pouvoir s'affranchir des fameux trente-trois ans. Les voyageurs vont donc pouvoir se faire plus nombreux, multipliant le nombre de joueurs autour de l'échiquier... à moins qu'il ne s'agisse d'autant de pions !

La première saison questionnait avec intelligence le caractère banal du mal : ce n'est sans doute pas un hasard si Dark est allemande... C'est avec tout autant d'intelligence que la deuxième saison questionne la crédulité de l'individu qui croit être maître de son destin alors qu'on le manipule toujours plus : dans le conflit qui se dessine peu à peu entre Adam et le "diable blanc", chaque voyageur finit tôt ou tard par agir pour le compte des deux maîtres du jeu. A force d'impressions de déjà-vu - et à force, pour certains personnages, de se rencontrer eux-mêmes sans en avoir tout à fait conscience - les protagonistes finissent par percevoir ou peut-être même comprendre que quelque chose ne tourne pas rond à Winden et que leurs vies sont sous contrôle. Qui peut gagner dans cette guerre ? Peut-il même y avoir un ou des gagnants ? C'est au fond la fin de la saison qui se révèle en être le point de fragilité : alors que la démonstration du caractère indéfectible du destin semblait achevée, le twist scénaristique de conclusion a le goût de l'artificiel. S'il n'est pas de nature à faire de cette seconde saison une mauvaise saison, il doit alerter : pour que la prochaine livraison soit convaincante, il faudra vite en justifier l'intérêt... par exemple, en l'intégrant à un schéma plus grand dont le spectateur n'a pas encore conscience.

Il n'en demeure pas moins que Dark saison 2 reste une très bonne livraison : pour atteindre son objectif, elle devait répondre à un grand nombre d'interrogations sans oublier d'en introduire de nouvelles. C'est réussi.

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