La planète Folie

De John Brunner, je n'ai jamais rien lu d'autre que le décevant Les Dramaturges de Yan. J'ai malgré tout récolté La planète Folie quelques années plus tard : le moment est venu peut-être de donner une seconde chance à cet auteur.
Résumé : 
Asgard est une planète luxuriante sur laquelle deux vaisseaux de colonisation viennent d'atterrir. Les responsables du projet sur Terre ont prévu plusieurs sécurités : les spécialistes embarqués sont plus nombreux qu'il ne le faudrait afin de changer le visage d'Asgard, et ces doublons seront utiles car le troisième vaisseau de l'expédition s'est écrasé sur une lune au sortir de l'hyperespace. Dennis Malone est le seul être humain qui soit revenu sur Asgard : il y a connu un épisode de folie où il a violé l'une de ses co-équipières et à présent coincé avec les autres sur cette planète suite au crash, il sombre dans la neurasthénie. Lorsqu'une bactérie indigène se met à occasionner une épidémie de scorbut, les colons sont pris au dépourvu. Alors que les incidents graves se mettent à se multiplier, Dennis saura-t-il aider les siens à trouver une solution ? Faut-il repartir sur Terre, périr sur Asgard... ou trouver une solution plus radicale ?
Court planet-opera, La planète Folie reprend quelque chose du schéma des Dramaturges de Yan évoqué plus haut. Cette fois-ci, le danger ne vient pas d'une civilisation autochtone incapable de comprendre et d'expliquer les reliques abandonnées par ses brillants ancêtres : il vient d'une biosphère étrangère pas aussi bénigne qu'il y paraît au premier abord. La planète Folie mérite bien le surnom que l'on comprend être le sien dans un avenir plus éloigné que celui de l'intrigue : face aux défis qu'elle oppose à ceux qui auraient voulu la conquérir, le savoir-faire humain se révèle impuissant... non que les machines fassent défaut : mis à part le crash à l'arrivée, la technologie elle-même tient le coup, et ce qui pose problème c'est la composante humaine de la civilisation. Les gens se font nerveux quand un imprévu se présente, vengeurs face à la folie apparente des autres et apathiques une fois le plan initial saboté. L'être humain est-il fait pour coloniser d'autres mondes ? Pas en l'état, nous dit John Brunner dans cette histoire.

La solution proposée - puis en quelque sorte adoptée - a des accents presque herbertiens et fait penser à l'argument de Semence : là-bas comme ici la clé de la survie provient de l'adaptation de l'être humain et non de la transformation environnementale. La planète n'est ici qu'en apparence moins dangereuse que celle de Semence : dans les deux cas les colons se trouvent menacés par un problème que la science ne parvient pas à résoudre de façon simple... et la solution ne se trouve nulle part ailleurs que dans les instincts humains. La folie, sur Asgard, serait de ne pas faire confiance à son propre corps et à l'empirisme qui a guidé l'être humain depuis ses premiers âges... et puisque la planète a une biologie compatible avec celle de la Terre, il convient de lui faire confiance à elle aussi. La conclusion du roman délivre son verdict sous la forme d'une entrée encyclopédique écrite après la redécouverte d'Asgard par la Terre, des générations après le débarquement de Malone et de ses acolytes : si loin de son berceau, l'être humain doit se transformer lui-même... ce qui implique une évolution culturelle plus que biologique.

Comme Frank Herbert, John Brunner met en avant ici des problèmes humains qui requièrent des solutions humaines. La pensée de ce texte n'est donc scientiste que dans ses premiers passages, et de façon trompeuse qui mieux est : sa brièveté ne rend sa démonstration que plus efficace. On est loin ici des interrogations peu conclusives des Dramaturges de Yan : c'est quand la SF interroge l'altérité à travers le seul prisme humain qu'elle se montre la plus intéressante...

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