L'espoir malgré tout tome 2 : Un peu plus loin vers l'horreur
Il y a quelques temps je parlais du premier tome du projet d'Emile Bravo, une fiction historique évoquant la vie de Spirou sous l'occupation de Bruxelles pendant la Seconde guerre mondiale. L'espoir malgré tout - un titre magnifique, ainsi que je le disais dans mon précédent article - est une quadrilogie en devenir qui fait suite au Journal d'un ingénu paru en 2009 dans la série Le Spirou de... : après l'ambiance inquiétante des années trente, après les premiers temps de l'Occupation - et les fameuses affiches de propagande qui cherchaient à vendre l'idée d'un occupant "correct" - il est temps pour le lecteur d'entrer dans une phase nouvelle du cauchemar.
Résumé :
In extremis Fantasio s'échappe du train qui devait l'emmener travailler en Allemagne... Si Spirou est heureux d'avoir soustrait son ami au travail sous contrat, il sait que les temps à venir seront durs. Les bruits de botte résonnent en effet le jour à Bruxelles et la DCA y tonne la nuit - mais ce qui compte le plus pour la population belge occupée, ce sont les ventres vides et les restrictions qui ne cessent de se superposer les unes aux autres. L'occupant nazi joue sur tous les tableaux pour maintenir son emprise mortelle : diviser les Wallons et les Flamands, les belges chrétiens des juifs... Le temps est-il pour autant à la résistance ? Si certains s'accommodent assez bien de l'Occupation, Spirou et ses amis - qui font partie des plus faibles - doivent trouver comment survivre mais aussi comprendre l'époque terrible qui leur est tombée dessus... Comment vivre en effet dans un monde où chacun a faim, froid, et peur pour ceux qu'il aime quand ce n'est pas pour lui-même ? Et surtout, comment imaginer... l'inimaginable ?
Dans ma précédente chronique, je posais une question aussi simple que glaçante : au fond, connaissons-nous le vrai Fantasio ? Si les premières pages de cet album lèvent toute incertitude - le Fantasio de cette histoire est encore et toujours le Fantasio distrait, gaffeur mais incapable de faire du mal à une mouche... c'est-à-dire celui de Jijé - le lecteur aura le plaisir de voir le personnage mûrir : le journaliste raté, incapable de parler d'autre chose que d'actualité de caniveau ou de détails insignifiants du schéma d'ensemble, va découvrir qu'il n'est pas tout à fait incompétent et se faire en fin de compte plus adulte. Première aventure sentimentale et - sans doute - premier engagement politique à une époque où il était dangereux d'exprimer des opinions hétérodoxes, même si la chose est encore assez nébuleuse : il est vrai que l'on observe l'évolution de Fantasio à travers les yeux encore juvéniles de Spirou, lequel ne comprend pas toujours le subtexte voire le mode allusif...
Mais Spirou, au juste, qu'en est-il de lui ? Le groom n'en est plus un, le Moustic Hotel ayant disparu à cause de l'explosion retardée d'une bombe allemande, et il doit désormais adopter une tenue plus anodine qui lui donne des faux-airs de Tintin. Le costume de groom ne disparaît pourtant pas tout à fait de son destin : à la recherche d'une combine destinée à mettre un peu de nourriture sur la table - et quelques francs belges dans leurs poches - les deux compères vont monter un spectacle de marionnettes où ils jouent leurs propres rôles et mettent en abîme les difficultés quotidiennes de la population. C'est en réalité une étrange irruption dans l'album d'une étape méconnue de l'évolution du personnage qui, au contraire du sus-cité Tintin, s'est absenté de la presse belge pendant les années d'occupation : Spirou - dans l'album comme dans l'Histoire - se change en personnage dont la présence est synonyme d'espoir dans une période sombre... et qui, dans sa carriole, charrie quelques denrées alimentaires illicites car soustraites à l'appétit allemand ainsi que, sans doute, des documents utiles à la Résistance.
Tout fonctionne au fond dans cet album qui représente avec justesse les impossibilités de la vie en pays occupé. De la plus évidente - la faim liée aux spoliations par l'occupant - aux plus abstraites - la peur - il ne manque rien au tableau clinique. C'est bien entendu dans l'illustration des problèmes les plus abstraits que l'on attendait l'auteur et son intrigue au tournant : comment représenter la peur elle-même ? Les soldats allemands et autres SS sont dessinés à contre-jour et font comme des taches noires dans des cases aux tons plus neutres, leur donnant leur caractère d'inquiétants intrus. Leur présence, peu à peu, se multiplie et leur donne l'occasion de révéler leur véritable nature : la rossée que reçoit de leur part l'un des amis de Spirou n'est au fond qu'un triste rappel de l'emprise brutale qu'ils exercent sur la Belgique où l'on arrête à tour de bras les communistes, les juifs et les résistants. Pourtant, c'est dans ses dernières pages que le titre de l'album prend tout son sens : le noir des uniformes de SS en vient à se confondre avec celui de la nuit sous le couvert de laquelle partaient les trains de la déportation. Dans cet océan de noirceur subsiste pourtant une touche de couleur hésitante sous la forme d'un Spirou qui, plus humain que jamais, se fait tout à fait téméraire...
Le premier volume de cette histoire était on ne peut plus convaincant : c'est donc un plaisir de voir à quel point l'auteur s'est surpassé pour livrer un second volume plus réussi encore, où ni l'Histoire ni le personnage de Spirou ne sont trahis au bénéfice de la facilité... Bravo !
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