Noô tome 1 : Soror
Il y a plusieurs années, je parlais ici du Noô de Stefan Wul : un bien étrange livre-univers qui venait couronner sa carrière d'écrivain. La déroutante histoire aux allures de voyage picaresque - et peut-être uchronique - de Noô s'éloignait des récits que Wul avait su produire vingt ans plus tôt... Son étrangeté a intrigué d'autres personnes plus instruites que moi dans les genres de l'imaginaire - à commencer par Laurent Genefort qui devait s'y intéresser en particulier dans sa thèse sur les livres-univers de la SF : il est donc plaisant de voir Noô connaître une adaptation en BD, le même Laurent Genefort s'étant collé au travail de scénarisation du texte wulien...
Résumé :
Quand Brice se réveille, c'est pour découvrir que ses derniers souvenirs du Brésil se trouvent désormais à quatre années-lumière de distance... Un certain Jouve Deméril, qui l'a recueilli au fin fond de la jungle, lui a fait traverser l'espace jusqu'à Soror - planète-jumelle de la Terre à laquelle la relie un vaisseau sans pilote abandonné par une civilisation disparue - et l'a immergé dans un univers presque incompréhensible. Sur Soror, attendent en effet Brice une société très avancée mais aussi un gouvernement oppressif qui redoute le retour de Jouve... Celui-ci, plusieurs décennies auparavant, a été le maître à penser d'une révolution manquée : les opposants au Réal attendaient qu'il revienne pour diriger la lutte si bien que, quand quelques années plus tard les événements se précipitent, Jouve et Brice vont devoir quitter la capitale de Grand'Croix pour un périlleux voyage à travers les étendues sauvages de Soror... Pourront-ils vaincre le puissant gouvernement du Réal ?
Si l'oeuvre de Wul s'adapte fort bien en BD - comme en témoignent plusieurs projets dont Les Univers de Stefan Wul - il faut reconnaître que ces adaptations, souvent, s'éloignent un peu du texte original. Au fond, le plus facile à retranscrire chez Wul ce sont les paysages, les créatures et les mondes : son écriture très descriptive donne l'impression de visualiser leurs couleurs vives et leurs formes étrangères, si bien que les dessinateurs disposent d'un canevas précis sur lequel élaborer leurs propres représentations. Cela marche ici fort bien : les habitants de Soror, qu'ils soient humains ou kihas, semblent tout à fait conformes à l'image que l'on en garde si l'on s'est donné la peine de lire Noô ; les xéno-plantes sont bizarres et dangereuses à souhait ; quant à la faune de Soror elle semble pour le moment assez bénigne pour se faire discrète. Il restait à représenter le "noô", cette substance psychotrope mal définie - qui peut être, ou non, de la cervelle extraterrestre liquéfiée - qu'un acolyte un peu trop téméraire de Brice cherche à transformer en arme : les auteurs choisissent ici de lui donner l'allure d'innocents confettis à transporter sous blister, puisque les effets psychiques du noô se déclenchent lors de sa réhydratation. D'un point de vue graphique, c'est donc fort bien réussi : cette Soror n'a pas beaucoup de différences avec celle que l'on imaginait en lisant Wul.
Cet album, le premier d'une trilogie, suit une trame d'intrigue très proche de celle du livre de Wul. De toute évidence, Laurent Genefort a choisi d'élaguer une partie du propos : la courte introduction brésilienne est ici réduite au minimum, et les années de formation de Brice à Grand'Croix sont évacuées d'une ellipse au profit du déclenchement de la nouvelle guerre civile. Comme dans le livre, Brice adopte les idées de son père adoptif Jouve et se retrouve par conséquent entraîné dans un conflit dont les enjeux le dépassent tout à fait. J'avoue mal me souvenir de son caractère dans le livre de Wul - mais Genefort décide ici d'en faire un personnage influençable et désireux d'obtenir la validation de son père quitte à mettre leurs existences en péril : la longueur du voyage en a fait un enfant dans un corps d'adolescent, puis un adolescent dans un corps d'adulte... Au fond simple observateur de Soror et du conflit qui s'amorce, Brice n'est guère plus qu'un enfant perdu dans cette partie du récit - et le recours à l'ellipse ainsi qu'aux cases sans paroles n'aide pas à cerner le personnage ou même à toujours interpréter les scènes dont il est témoin. De ce fait, certains passages ne peuvent se comprendre si l'on n'a pas lu le livre de Wul - et c'est fort dommage, car dans ces moments la BD renonce à son statut d'adaptation pour se faire objet-compagnon...
Le premier volume de cette série reste malgré tout une honnête ouverture pour cette adaptation qui, on l'espère, intriguera ses lecteurs au point que certains d'entre eux accepteront de se pencher sur l'oeuvre maintenant plus que quarantenaire de Wul. Quant à savoir si cette BD saura gagner sa place dans le panthéon des livres-univers, il faudra lire les volumes suivants pour en décider...
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