Alix Senator tome 9 : Les Spectres de Rome
Je suis depuis quelques années la série Alix Senator : ce dernier album (en date) ramène le personnage et ses acolytes à Rome, après un épisode nabatéen qui avait révélé à eux-mêmes certains des protagonistes...
Résumé :
A Rome, de nouvelles rumeurs excitent la colère de la population et des soldats : d'étranges personnages vêtus comme des lépreux s'en prennent aux vétérans et aux gardes impériaux. Bien que préoccupé par la santé de plus en plus fragile de Lidia - mère de son fils Titus - Alix va devoir à nouveau faire face aux démons de ses aventures passées. Alors qu'Enak s'abîme dans le désespoir de n'avoir pas pu enterrer son fils Khephren, et alors qu'Auguste est harcelé par le nabatéen Syllaios déterminé à lui arracher un traité d'alliance, le Sénateur va s'exposer à nouveau en personne : de la chambre où gît Lidia aux couloirs de la Cloaca Maxima, l'horreur s'apprête à fondre sur Rome... Alix pourra-t-il sauver sa ville ?
Le titre de cet album n'est pas sans évoquer celui plus ancien qu'avait signé Jacques Martin : Le Spectre de Carthage conduisait Alix et Enak au beau milieu des ruines puniques, où ils mettaient au jour un complot fomenté par les descendants de vieux ennemis de Rome - étrusques et carthaginois. Valérie Mangin et Thierry Démarez ne se contentent pas de reprendre presque mot pour mot le titre de l'album historique : suivant le chemin de la figue du Delenda est Carthago, les fantômes de Carthage déambulent maintenant dans les rues de Rome. Le schéma de l'intrigue semble ainsi calqué sur celui du Spectre de Carthage : Rome est menacée par la haine inextinguible que lui vouent certains de ses ennemis, les anciens comme les récents, qui sont prêts à tuer ses habitants pour que son empire se disperse comme poussière au vent... L'intrigue parvient pourtant à diverger de celle qu'avait imaginée Jacques Martin : si la perte fait partie intégrante de bon nombre des Aventures d'Alix, les personnages semblaient n'en être jamais tout à fait affectés ou en tout cas pas très longtemps. Ici, Alix est âgé : la République s'est dissoute sous le pouvoir impérial d'Auguste et l'amertume ronge chacun, vieux et jeunes, qui prennent peu à peu conscience de leur incapacité à modeler leurs destins comme ils l'auraient désiré. C'est ainsi qu'Alix Senator se change en tragédie : certains personnages disparaissent pour de bon, occasionnant des peines inguérissables à leurs proches ; et parfois, les catastrophes ne peuvent être évitées. La narration réalise donc un tour de force : raconter une histoire semblable mais s'échappant tout à fait du piège du remake.
Jacques Martin ne refusait jamais d'introduire, dans ses histoires, une dose de réalisme fantastique lorsqu'il estimait pouvoir en tirer un argument narratif intéressant et c'est ainsi que phénomènes paranormaux, alchimie et métaux inconnus apparaissent de loin en loin dans les Aventures d'Alix. Valérie Mangin aime l'imaginaire - on lui doit Le dernier Troyen et Luxley - et elle a su se saisir de cette dimension où Jacques Martin, parfois, ne semblait pas tout à fait à son aise. L'orichalque déjà entrevu dans deux albums des Aventures d'Alix fait ici son retour : le toxique métal vert n'est pas sans faire penser à l'uradium du Rayon 'U' puisqu'il brille dans la nuit, ce qui est propice aux terreurs dans une époque où la raison était encore très loin de pouvoir s'opposer aux croyances. Ses radiations brûlent les visages, rendent nihilistes ceux qu'elles empoisonnent, et par-dessus le marché elles imprègnent les tissus vivants (voire même la matière organique !) et changent les contaminés en pestiférés. Comment réagir face à la contamination radioactive lorsqu'on ne dispose d'aucune technologie moderne et que la physique atomique reste en fait à inventer ? Là où L'Enfant grec montrait des physiciens antiques troublés à la perspective de libérer l'énergie de l'atome - et donc de produire des armes nucléaires - cet album parvient à poser, de façon dérangeante, la question de la pollution radioactive. Au terme de l'album, plusieurs personnages majeurs sont contaminés, préparant peut-être la fin de la série - ou en tout cas de nouvelles pertes en plus de celles déjà subies par le passé. Les auteurs d'Alix Senator, s'ils respectent avec soin l'apparence et le caractère des personnages de Jacques Martin, n'hésitent pour autant pas à leur faire la vie dure et même cruelle : c'est dans cette dimension qu'ils affirment l'intérêt de leur projet.
A travers cet album inquiétant, Alix Senator semble s'orienter vers la conclusion d'un cycle. Alix n'a pas encore perdu sa vie, ni même son âme : reste à savoir s'il peut perdre ses ultimes illusions...
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