Terre errante
J'avais parlé il y a quelques temps de Liu Cixin et de son Problème à trois corps : ce livre, ainsi que ses suites, sont ceux par lesquels cet auteur chinois s'est imposé à l'attention du public francophone. Terre errante est une nouvelle antérieure au Problème à trois corps et elle fait, comme ce roman, la part belle à la hard-science - cette fois-ci dans un contexte d'ingénierie céleste...
Résumé :
Le Soleil entre dans une phase de dégradation accélérée : dans un avenir proche, il promet de se changer en géante rouge et de détruire la Terre elle-même... Pour sauver la planète et l'humanité, il faut prendre des mesures d'exception et construire d'immenses propulseurs qui - alimentés par les roches des chaînes de montagnes vouées à être rabotées jusqu'à la racine - arracheront la planète à son orbite et l'engageront dans un voyage millénaire jusqu'à Proxima Centauri... Le monde va changer, mais l'espèce humaine saura-t-elle le faire à temps ? Le narrateur, né à l'Ere du Freinage, sait qu'il va prendre part aux phases les plus périlleuses du projet - car la Terre est en réalité prise entre deux feux dont le plus terrible n'est peut-être pas le plus évident...
L'espace interstellaire contient son lot de planètes errantes : rien de moins que des objets non rayonnants et non intégrés à un système stellaire. Si l'existence d'un astre errant est justifiable par les lois de l'astrophysique puisque la stabilité d'un système stellaire n'est jamais garantie dans le temps long, l'hypothèse de Liu Cixin est ici celle d'une éviction artificielle et volontaire qui change la Terre en vaisseau générationnel. Hard-scientifique, le récit liste les conséquences du dantesque projet d'ingénierie : édification de propulseurs plus hauts que l'Everest, transformations en profondeur du paysage et de l'environnement terrestres, rencontre catastrophique avec la ceinture d'astéroïdes et même croisement d'orbites avec Jupiter... Abîmée, meurtrie, et pourtant toujours vivante et solide : la Terre se prépare en fait à entrer en hibernation avant d'atteindre une étoile plus accueillante que le Soleil devenu menaçant.
Liu Cixin n'oublie toutefois pas d'explorer le volet psychologique de l'affaire. Pareil plan nécessite un changement de toutes les perspectives humaines car il implique la fin des saisons, la disparition de l'atmosphère elle-même - vouée à précipiter sous forme de glace de diazote et de dioxygène - et même la suspension des rythmes nycthéméraux. La conséquence logique en est pour lui celle de la folie de groupe - et d'une méfiance renouvelée à l'égard de la science. Bien que ce texte soit vieux de vingt ans, il est très intéressant de lire Terre errante à l'heure où l'on entend un peu trop certains groupes - anti-vaccins, platistes et complotistes - faisant la part belle aux "faits alternatifs" et donc à la non-vérité : par moments, les faits - les vrais - s'imposent d'eux-mêmes à l'expérience du présent. Il est regrettable qu'en général cela ne se produise que dans les plus profonds moments de crises - mais ce que l'auteur nous dit ici, c'est qu'à terme la science finit toujours par prévaloir. Belle leçon, et merci.
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