The Promised Neverland tome 1

Depuis la fin de Letter Bee, je ne crois pas avoir entrepris à nouveau la lecture d'un shōnen : parfois interminables, ces manga finissent - pour les moins bons d'entre eux - par se révéler répétitifs et donc lassants puisqu'ils sombrent dans l'excès inverse de la BD franco-belge (lequel est, on le rappellera : pas plus d'un album par an et des séries de cinq volumes). The Promised Neverland m'ayant été recommandée par une personne qui se reconnaîtra, j'ai malgré tout décidé d'en lire au moins le premier tome.
Résumé : 
Grace Field House est un orphelinat très accueillant bien que ses règles soient étranges. Dirigé par "Maman" Isabella - qui en est la seule adulte - ses petits pensionnaires doivent passer tous les jours des tests d'intelligence après lesquels ils ont quartier libre dans le vaste parc de l'orphelinat. S'il est interdit de franchir la clôture en pleine forêt ou de s'approcher du portail fermé depuis l'autre côté, nul ne questionne un lieu qui donne l'impression d'être hors du monde et où règne la concorde. Bien sûr, de temps en temps l'un ou l'autre des orphelins part pour l'adoption sans plus jamais donner de nouvelles... mais pourquoi s'en inquiéter alors qu'il suffit d'attendre à son tour qu'une gentille famille se manifeste ? Pour Emma et Norman, le monde bascule un jour pourtant : décidés à rendre à la petite Conny la peluche qu'elle a oubliée au moment de son départ vers le monde extérieur, ils découvrent l'atroce vérité qui fait de leurs vies passées un répugnant mensonge. Qui au juste est "Maman" ? Y a-t-il une façon de s'échapper du piège mortel que constitue l'orphelinat ?
On dit que dans les abattoirs, parfois, les vaches se rebellent et que certaines même parviennent à s'échapper. Ce qui est certain, c'est qu'il est dans l'intérêt de l'éleveur et du personnel d'abattage que les animaux ne soupçonnent pas un instant leur destin tout au long du processus : non par bonté d'âme (ou en tout cas, peu souvent) mais plutôt par rationalité, la ressource vivante pouvant être altérée par un stress excessif voire par ses tentatives d'échapper à son destin. L'idée de changer l'être humain en ressource alimentaire n'est pas nouvelle en fiction, y compris dans les plus récentes d'entre elles, et elle est un puissant marqueur des dystopies dont - comme on le sait si on fréquente ce blog - je ne suis guère amateur. Dénonciation, évasion, proposition : à mon sens, pour être réussie une dystopie doit inclure ces trois dimensions. Le fait est que les dystopies actuelles dénoncent très volontiers, en oubliant le plus souvent d'offrir évasion et proposition. The Promised Neverland semble souffrir d'un défaut presque inverse : les personnages capitaux, sitôt informés de la vraie nature de leur orphelinat, cherchent à lui échapper (l'évasion) tout en espérant l'existence d'une société humaine protectrice (la proposition)... mais où se trouve ici la dénonciation ?

L'irruption de créatures démoniaques (peut-être) dans le fil de cette histoire l'ancre, presque sans y penser, au genre du fantastique mais il n'est pas certain que cet argument soit tout à fait central dans le reste de l'histoire. Les (derniers ?) êtres humains ont fait, au sens propre du terme, un pacte avec les démons : s'il est possible de penser que la dystopie dénonce ici les sociétés qui sacrifient leurs propres enfants à la bonne marche d'un système aberrant, le fait est que l'organisation esquissée au terme de ce premier volume évoque plus volontiers le Saturne dévorant un de ses fils de Goya ou plutôt les images bibliques de la Géhenne dans l'Ancien Testament. Dans les deux cas, le choix est fait de façon consciente et assumée de sacrifier l'enfance - soit donc, les générations à venir - au profit du mal. Le tableau manichéen est confirmé par l'attitude des personnages positifs que sont Emma, Norman et leur ombrageux allié Ray : ils sont à eux trois les plus intelligents de leur "promotion"... et aussi les plus âgés, soit donc les spécimens les plus alléchants pour les puissances qui contrôlent l'orphelinat par l'intermédiaire de "Maman". Celle-ci se révèle glaçante d'intelligence et de détachement à l'égard des enfants qu'elle élève en toute connaissance de cause, et en particulier de leur destin. Le schéma, s'il n'est pas encore tout à fait net, semble éclairci par quelques allusions finales : si certains enfants sont élevés à un âge plus avancé que d'autres, c'est peut-être pour être investis - à terme - du statut de reproducteurs... voire de gardiens pour le reste du troupeau.

The Promised Neverland, à ce stade, ne se démarque pas tout à fait d'une production abondante où il est difficile de trouver l'originalité. Le triangle des personnages capitaux en constitue en réalité le principal intérêt : comme le montre la couverture du premier volume - ainsi que sa tranche - c'est bel et bien l'émotionnelle et agile Emma qui jouera le rôle du héros principal, quel que soient les rôles joués par le brillant stratège Norman et par le discret mais rusé Ray. Il reste à voir si, dans son développement, ce manga saura développer quelque chose de fascinant à partir de ces axiomes...

Commentaires

Baroona a dit…
Mais la dénonciation va de soi, non ? Elle est néanmoins, il me semble, un peu plus explicite par moment dans les tomes suivants - qui tiennent toujours la route jusqu'à présent, à mon goût en tout cas.
Anudar a dit…
J'ai tendance, peut-être, à chercher trop loin en me disant qu'il faut trouver un message plus profond que les apparences ne le veulent.

En tout cas, je me suis procuré le tome 2 et le 3 histoire d'avoir une meilleure perspective d'ensemble. J'en parlerai prochainement je crois, reste à l'écoute ;)