Jean-Michel Ré : une interview
Jean-Michel Ré chez lui, à Saint Vincent de Durfort - Photo prise par Anudar Bruseis. |
Jean-Michel Ré, l'auteur de La Fleur de Dieu et de ses suites, a eu la gentillesse de m'accorder un entretien à son domicile ardéchois : l'occasion de découvrir un auteur atypique, et de compléter un portrait amorcé grâce à cette interview disponible sur le site de son éditeur...
1 Jean-Michel Ré & le langage
Bonjour Jean-Michel ! En plus d’être auteur, tu es enseignant et très exactement professeur de français langue seconde (note : il s’agit d’enseigner le français à des primo-arrivants). Comment enseigner le français à ceux qui ne le parlent pas ou peu ?
Bonjour… C'est comme quand nous avons appris notre langue maternelle ou une langue étrangère. Cela passe par beaucoup de jeu, du mime pour les verbes, et les actions… Pour le vocabulaire général, on passe par l’image. Cela permet d’établir les premiers contacts avec la langue. La méthode à employer dépend du niveau de langage que les élèves ont déjà... Quand j'ai commencé à enseigner le FLS, ne disposant pas de beaucoup de ressources pédagogiques, j'écrivais moi même les textes sur lesquels je faisais travailler mes élèves. J'essayais de faire des textes tout aussi bien simples pour des primo-arrivants que plus complexes avec des dialogues et une petite histoire pour les plus avancés. Avec des questions de vocabulaire, de grammaire, de compréhension de texte…. Et puis, des élèves en situation d’illettrisme voir même d’analphabétisme sont arrivés. Si l’apprenant n’a été que peu ou pas du tout scolarisé, il faut changer de pédagogie car on doit lui apprendre à lire et à écrire. Et ce n’est pas le même travail.
Quelle satisfaction tires-tu de ce travail ?
J’en retire une énorme satisfaction car j’ai l’impression de permettre à mes apprenants de pouvoir s’inclure dans la société française. Au-delà, cela leur permet de témoigner de leur parcours, de leur vie car souvent ce sont des personnes qui ont des histoires très particulières, qui méritent d’être dites et entendues. J’ai l’impression de leur donner la parole, même s’ils l’ont déjà dans leur langue maternelle, souvent, ils ont quitté leur pays de naissance car ils ne pouvaient s’exprimer librement : qu’ils puissent le faire en français, sans risque pour leur sécurité, me semble important. C’est un peu la Tour de Babel et j’aime beaucoup ça : parfois, pour un seul et même apprenant il y a trois ou quatre langues différentes, alors imaginez le nombre de parlers présents dans une classe de quatre ou douze élèves ! Pour moi, qui me dis avant tout « citoyen du monde », toutes ces personnes, ces nationalités diverses et variées, me rappellent combien l’humanité est riche de différences et j’ai un peu l’impression, quand je suis dans ma classe, d’être à un de ces carrefours où tous ces parcours personnels se croisent et se racontent.
Comment en es-tu venu à ce métier ?
J’étais assistant d’éducation en LP où je travaillais comme surveillant d’internat. Quelques années plus tôt, quand j’étais étudiant à Nice, j’avais travaillé pour une association qui donnait des cours de français pour les adultes étrangers : il m’a été proposé alors de faire du Français Langue Etrangère (note : c’était l’ancien nom de cette matière) pour les élèves venus d’Afrique subsaharienne et ce fut mon premier vrai contact avec cet enseignement. Ensuite le rectorat m’a contractualisé et j’ai pu faire connaissance d’élèves roms, thaïlandais, afghans, portugais, syriens, kenyans, ivoiriens, guinéens...
Que penses-tu du langage d’autres auteurs tels que Bordage, Ayerdhal, Wagner… ou tout autre auteur que tu apprécies ? Et quels rapports établis-tu avec ton écriture de La Fleur de Dieu ?
Je n’ai lu ni Bordage, ni Ayerdhal, ni Wagner ! Je ne pourrai donc pas donner mon avis sur ces auteurs. J’ai lu Damasio, et j’ai un intérêt tout particulier pour ses livres La Horde du Contrevent et La Zone du Dehors. En fait, pour moi la littérature SF se trouve aussi en BD : quand on me parle de SF, je pense tout de suite à Bourgeon avec Le Cycle de Cyann et à Bilal, qui sont pour moi mes deux grandes influences car ce sont des auteurs qui ont des dialogues très travaillés, très intéressants à suivre. J’aime beaucoup leur écriture en plus de leur univers graphique et on peut dire que pour moi, ce sont des auteurs de SF au même titre que Damasio. Récemment, j’ai beaucoup apprécié Gauthier Guillemin, que j’ai découvert grâce à mon éditeur Gilles Dumay : il a une belle écriture, très poétique et très prenante. J’ai été un lecteur de Barjavel qui reste une certaine référence pour moi : dans Ravage, certaines idées telles que celle du cube de viande qui pousse tout seul, ou celle des morts que l’on conserve dans un frigo vitré m’ont semblé fantastiques quand j’étais jeune. J’étais par ailleurs assez d’accord avec la conclusion de son livre selon laquelle il faut revoir notre dépendance aux machines pour construire une meilleure société. En dehors de ces éléments je garde peu de souvenirs de ses textes : ce n’est pas un auteur qui m’a particulièrement influencé même si adolescent ce qu’il faisait me parlait. En littérature étrangère, j’ai été marqué par les nouvelles de Buzzati et plus particulièrement par La leçon de 1980 où plus personne ne veut du pouvoir car celui-ci représente un arrêt de mort. Cette idée dans la nouvelle de Buzzati que le pouvoir puisse représenter une plaie ou une patate chaude m’a semblé particulièrement intéressante… et on peut y voir peut-être une inspiration pour ce que fait Latroce dans mon livre. Un autre roman dont la lecture a été fondatrice pour moi, c’est Le Loup des steppes de Herman Hesse. Je pourrais citer aussi la poésie de Baudelaire et de Rimbaud : le poème Correspondances dans Les Fleurs du Mal m’a beaucoup impressionné, je pense qu’on retrouve quelque chose de ce poème dans la façon dont l’Enfant voit le monde. Les « confuses paroles » du sonnet de Baudelaire sont en réalité ce que voit l’Enfant ! J’aime aussi beaucoup l’écriture de Fernando Pessoa dont Le livre de l’intranquillité m’a incroyablement parlé dans sa façon de dire les choses et de voir le monde. Les textes des philosophes situationnistes tels que Guy Debord ou Miguel Benasayag m’ont servi de support pour construire le discours de l’Enfant : leur lecture m’a en son temps beaucoup parlé, elle a contribué à la façon dont je vois le monde – et donc à comment l’Enfant le voit. D'autres auteurs sont également des sources d'inspiration, notamment dans les exergues de mes chapitres qui s'inspirent aussi bien de pensées d'Albert Camus ou d'Edgar Morin, mais aussi de vers de Jean Richepin ou du flow de Kery James. En SF à nouveau Le Meilleur des Mondes de Huxley mais aussi ses Portes de la perception me servent de références : dans ce dernier livre, il explique en particulier que toute société future désirant contrôler l’humanité devra être capable de fournir un accès libre aux loisirs et aux drogues. C’est une idée très intéressante car elle associe la conception politique de la Rome antique à l’importance des drogues en général dans les sociétés humaines, et je pense qu’il a touché à quelque chose d’essentiel quand on voit la manière dont certains Etats utilisent drogues et loisirs pour contrôler la population : il avait déjà senti venir des choses actuelles ! Enfin, dans 1984 aussi le statut de la novlangue m’a inspiré : cette idée est fascinante et prometteuse d’un avenir trop vite atteint – je rappelle que de nos jours on parle ouvertement « d’éléments de langage »...
2 Jean-Michel Ré & les plantes
Est-ce que tu as un statut d’agriculteur ?
Au départ, je voulais devenir archéologue… Mais au Collège j’étais très perturbateur, bouillant même, et la conseillère d’orientation et mes parents ont pensé que ce serait mieux si j’avais plus de liberté de mouvement et je suis entré en filière agricole. J’ai passé un BAC D’ (note : devenu désormais BAC STAE, pour « sciences et technologies de l’agriculture et de l’environnement ») dans le Lycée agricole et horticole d’Antibes. Actuellement, je suis cotisant solidaire car j’ai eu quelques expériences dans l’arboriculture comme dans les saisons de cueillette de fruits. Ce qu’il s’est passé précisément, c’est que lorsque je suis arrivé à Saint Vincent de Durfort le Maire et le Conseil municipal essayaient de constituer une réserve foncière et communale pour faire venir un agriculteur. Ils m’ont contacté, ma compagne et moi, pour savoir si cela nous intéressait : c’est ainsi que nous avons monté le projet BUSAB et de jardin pédagogique. Je loue depuis des parcelles de châtaigniers sur le versant ubac, et des parcelles cultivables... mais sans eau sur le versant adret. Une autre raison pour laquelle mon activité tourne au ralenti, et en particulier concernant le jardin pédagogique, c’est qu’il fallait des investissements pour commencer réellement ! Actuellement, je cultive des plantes médicinales pour élaborer des tisanes et des hydrolats, ainsi que des châtaignes. Mais, n’ayant pas encore renoncé, je continue à peaufiner mon projet et à poursuivre les contacts en vue de donner vie un jour à ce jardin pédagogique, que j’ai par ailleurs tenté de décrire dans un article du journal communal.
Pourquoi les plantes et pas les bêtes ?
J’ai un attachement particulier au monde végétal, mais le monde animal me fascine tout autant. Par contre, je n'aime pas particulièrement les animaux domestiques et d'élevage : j’aime les chats mais de loin, je n’ai pas envie d’avoir de chien… Comme si, tout en les plaignant, je reprochais à ces espèces d'avoir accepté la domination de l'homme et de ne pas avoir su rester à l'état sauvage. Ce que paradoxalement je ne reproche pas aux végétaux cultivés. C’est aussi une raison très pragmatique : l’élevage des animaux devient immédiatement une contrainte nécessitant une présence quotidienne, alors que la culture des plantes peut se contenter d’une présence plus ponctuelle. Maintenant, pourquoi cet attachement au monde végétal ? Une première raison vient de ce que j’ai eu la chance de grandir à la campagne, dans une maison avec un grand jardin et une falaise où je m’amusais à grimper. Il y avait bien sûr un côté potager, mais du côté jardin il y avait un arbre, un pin, qui avait une place essentielle dans mes jeux. Je l’imaginais comme un arbre-monde en quelque sorte où mes personnages trouvaient leur refuge et leurs pouvoirs. Moi-même, j’y grimpais souvent et j’ai commencé à y faire mes premières tractions ! Mon attachement au monde végétal doit venir de ce contexte, d’autant plus que ma mère adorait les fleurs, que mon frère et mon père aussi aimaient les plantes. Les plantes aromatiques et médicinales avaient en fait déjà un attrait pour moi : mon père était nez professionnel, il travaillait dans une entreprise où l’on fabriquait des arômes et des parfums, et à la faveur de jobs d’été j’ai travaillé à distiller du cacao, de la menthe, de la vanille, de l’oignon… Ce que j’ai vécu au côté de mon père m’a guidé dans mon projet agricole actuel. Une seconde raison est que j’ai souvent croisé les plantes au cours de ma vie d’adulte ensuite. J’ai par exemple vécu dans une communauté libertaire et autonome dans les Alpes de Haute-Provence : il me fallait trouver comment utiliser les plantes pour vivre en autonomie. Ce fut une expérience personnelle et philosophique très intéressante, mais aussi l’occasion de découvrir réellement le rôle du végétal dans une vie puisqu’il s’agissait de vivre avec ce que l’on produisait et trouvait sur ce site. Une troisième raison est que j’ai eu l’occasion aussi de travailler autour de l’ethnobotanique : j’ai lu beaucoup de livres autour de l’usage des plantes médicinales et sur leurs propriétés psychotropes chez d’autres cultures. A l’époque, j’avais une vingtaine d’années, je n’étais pas vraiment usager des drogues, mais j’ai compris la dimension spirituelle que peut avoir le végétal et le fait que le principe actif de certaines plantes peut ouvrir les perceptions de l’être humain. Enfin, et c’est la quatrième raison, les débats sur le droit que l’être humain peut avoir sur le monde animal se posent pour moi aussi pour les plantes : le végétal est selon moi tout aussi vivant et sensible que l’animal, et cette dimension-là on a tendance à l’oublier même si de récentes découvertes sur les interrelations des racines des arbres semblent la soutenir. Les végétaux sont des êtres communicants et sensibles… a-t-on le droit de s’en nourrir, du coup ? Ne serait-on pas en droit de se poser cette question ?
En quoi ta relation privilégiée au monde végétal a-t-elle un lien avec ton écriture de La Fleur de Dieu ?
Le travail fait avec mon père dont j’ai parlé tout à l’heure, distiller l’essence d’une plante, m’a inspiré dans mon travail littéraire. Je pense que distiller s’applique aussi à la parole, et au langage : distiller une plante, c’est distiller son langage, et c'est ce que j’essaie de faire avec les mots, mon langage, quand j’écris. Quand je suis devant un alambic, il y a un temps d’attente qui s’apparente à celui de l’écriture. Au début, les plantes sont hachées, comme mes idées sont encore fragmentées. Puis ça chauffe et distille dans l'alambic comme les idées chauffent, se compriment et s'assemblent dans mes pensées. Ce qui en sort d'un côté ce sont quelques gouttes d'huile essentielle et un hydrolat, l'essence même de la plante, de l'autre des phrases, des dialogues et des histoires, la quiddité, l'essence même de ce qui m'habite. Je n’ai pas d’alambic, mais c’est mon rêve d’en avoir un ! Ceux que j’utilise appartiennent à des amies et ce sont des alambics de petite taille, qui permettent de distiller de toutes petites quantités de plantes. Cela permet d’apprécier les arômes et de constituer des recettes d’hydrolats et de baumes. Il y a pour moi un véritable parallèle avec la façon d’écrire un texte : pour une recette de tisane, on assemble des principes actifs pour obtenir un effet sur le buveur alors que pour un texte, on assemble des mots afin d’obtenir un effet sur le lecteur. Par ailleurs, l’importance que j’accorde au végétal s’exprime aussi dans les visions de La Fleur de Dieu : tout être vivant a droit au respect. C’est un problème que les sociétés du futur au sein de cet univers vont avoir à résoudre.
3 Jean-Michel Ré & Dune
Frank Herbert est l’auteur de Dune. Quelle est ta relation à lui et à son œuvre ?
Quand j’étais enfant, j’allais traîner dans une librairie en sortant du collège. Je lisais des BD, mais au rayon SF je voyais ce Cycle de Dune avec des titres qui me parlaient, et les dessins de Siudmak sur les couvertures qui m’attiraient… mais je ne l’ai pas lu à l’époque. Ce fut mon premier contact avec Frank Herbert, mais ce qui me l’a fait découvrir réellement s’est produit lorsque j’étais en Terminale : quinze jours avant le baccalauréat, une amie me dit qu’il faut que je lise Dune et m’offre les sept tomes, que je dévore au lieu de réviser, sans pouvoir m’arrêter car je suis happé ! Je dormais à l’internat et je lisais à la lueur d’une lampe de poche ! L’univers m’a tellement fasciné que j’ai perdu le compte du nombre de fois où je l’ai lu et j’ai tenté de persuader tous mes amis de le lire… C’est en lisant Dune que beaucoup d’idées me sont venues quant à la place de la religion, de la politique et de l’écologie dans la société. Beaucoup de personnages aussi m’ont marqué, ainsi que les dimensions qu’ils acquièrent au cours du Cycle : Paul Atréides promis à un certain avenir et qui se retrouve propulsé chef de tribu puis guide religieux, avant d’abandonner un destin qu’il refuse à son fils. On retrouve dans ce personnage quelque chose venu de la tragédie grecque et cette référence m’a toujours beaucoup plu. Un autre personnage important pour moi, c’est Duncan Idaho qui apparaît tout au long du Cycle, qui évolue et qui acquiert beaucoup d’autres dimensions que celle qu’il avait au départ à force de sa reproduction en tant que ghola, comme on le voit dans Les Hérétiques de Dune et La Maison des Mères. Dans mon œuvre telle que je désire l’écrire, je voudrais pouvoir introduire un personnage ayant un statut proche de celui de Duncan Idaho. J’ai aussi beaucoup aimé le personnage de Miles Teg : dans la trilogie de La Fleur de Dieu, cette scène où Anatowan est torturé par deux militaires avec une sonde est une citation directe à la torture par la sonde T dans Les Hérétiques de Dune. Je n’oublie pas l’importance aussi que Frank Herbert donne à ses personnages féminins dans Dune : cette dimension est très intéressante pour moi, car les femmes y sont le plus souvent maîtresses du jeu. En dehors du Cycle de Dune, je suis un grand fan des autres œuvres de Frank Herbert (Les Prêtres du Psi, Le Cycle des Saboteurs, Le programme conscience, Et l'homme créa un dieu). Sa réflexion sur la reproduction (avec, par exemple, la sélection des larves de Gowachins par les mâles adultes dans Dosadi) m’a impressionné, tout comme la thématique de la communication avec l’extraterrestre dans Champ mental et celle du Cerveau vert. Toutes ces œuvres que je viens de citer ont eu un effet fondateur sur moi et sur ma façon de penser mon écriture : où se trouve la conscience ? Peut-elle être végétale ?
Alejandro Jodorowsky a tenté d’adapter Dune dans le passé : il a tiré de son échec une œuvre de SF (en particulier en BD) très importante. Quelle relation as-tu à sa contribution artistique ?
J’ai découvert L’Incal très longtemps après avoir lu Dune et je n’ai compris les liens entre eux que tardivement. Ce qui m’a marqué dans L’Incal c’est ce moment où l’humanité doit se mettre en sommeil afin de combattre l’ennemi, la Ténèbre. Cela m’a conduit à l’époque à m’intéresser aux ondes cérébrales et aux états de conscience particuliers : les effets de transes, les expériences de mort imminente… ces lectures induites par ce détail de L'Incal m’ont inspiré les effets produits par l’intoxication à la fleur de Dieu dans mon livre ! Le personnage de l’Imperoratriz aussi m’avait fasciné, avec son caractère androgyne et hermaphrodite : je rappellerai ici, en lien avec mon intérêt pour le monde végétal, que beaucoup de plantes cultivées sont dioïques et portent les deux sexes. Si j’écris la suite de La Fleur de Dieu, je vais probablement développer l’idée selon laquelle c’est dans l’hermaphrodisme que se trouve une des clés du futur politique et spirituel de l’humanité, de la réalisation de l’être humain dans sa complexité. Pour en revenir à Jodorowsky, j’ai aimé La Caste des Méta-Barons, avec cette idée selon laquelle la mère élève l’enfant jusqu’à un certain âge, auquel le père prend le relais… puis le fait que le fils, pour prendre la place du père, doit le vaincre et le tuer. Enfin, quand je suis tombé sur les planches que Moebius avait réalisées dans le cadre de l’adaptation de Dune, j’avais trouvé que tout ceci augurait bien d’un projet dont j’aurais été très curieux. Jodorowsky avait l’envergure pour conduire une adaptation extraordinaire, en accaparant certaines idées de Frank Herbert.
En parlant d’adaptations de Dune, en connais-tu et en apprécies-tu d’autres (films, série, jeux de plateau, jeux vidéo…) ?
J’ai beaucoup joué au jeu de plateau (note : celui d’Avalon Hill de 1979). Les enjeux politiques autour de la planète Arrakis étaient très bien retranscrits, si bien que chaque joueur finissait par être « habité » par son rôle. Le joueur Bene Gesserit se faisait Révérende Mère, l’Atréides s'incarnait aussi... Avec mes amis, on y jouait des nuits entières sans même s’en rendre compte… et ce n’était que pour une seule partie ! J’ai beaucoup apprécié l’adaptation de Lynch : seul un auteur « habité » lui aussi par quelque chose de transcendant pouvait se lancer dans une adaptation aussi complexe. Les choix graphiques, par exemple ceux qui ont présidé à l’allure du Baron Harkonnen, peuvent être discutables mais Lynch a réussi malgré tout à retranscrire les caractéristiques de chaque personnage important, les ambiances, et ce avec des effets spéciaux peu riches compte-tenu de l’époque. Je pense que Lynch a lu le livre et a su le retranscrire : malgré les critiques possibles, il a vu des images qui correspondaient à ce que moi j’avais en tête. Je n’ai découvert que récemment la sortie future du film de Villeneuve, et je vais essayer d’en savoir le moins possible avant d’aller le voir pour garder le plaisir de la découverte ! Je n’ai pas vu la série, et je n’ai pas joué non plus aux jeux vidéo.
Et pour finir, quelles influences de Dune sur La Fleur de Dieu penses-tu n’avoir pas évoquées jusqu’à présent ?
Beaucoup de lecteurs ont dû sentir les liens entre les deux textes : il y a ce désert où pousse la fleur de Dieu, cette substance transcendante et si précieuse, les cuves axlotl qui m’ont inspiré celles où sont fabriqués les clones… La structure interne de l’œuvre m'a inspiré avec ses en-têtes de chapitre que l'on retrouve dans mes exergues. Il y a dans Dune d’autres choses que j’aime beaucoup, telles que cette vaste et incroyable fresque familiale qui s’étire sur plusieurs milliers d’années, du début à la fin du Cycle. Je pense que, si j’écris la suite de La Fleur de Dieu, il s’y trouvera quelque chose de cette dimension temporelle immense tout droit sortie de Dune !
A Saint Vincent de Durfort, le 28/02/2020.
Sans nous être consultés, le Chroniqueur et moi-même avons interviewé Jean-Michel Ré vers la même époque. Je vous invite à prendre connaissance de sa propre interview !
Commentaires