Le dernier Troyen tome 3 - Les Lotophages

Ayant commencé depuis peu une relecture de la BD Le dernier Troyen scénarisée par Valérie Mangin, me voici déjà au tome 3 de cette série - intitulé : Les Lotophages...

Résumé : 

Enée semble ne penser plus qu'à la reconstruction de la planète des Amazones, au mépris de la promesse faite par Vénus et des espoirs des réfugiés de Troie. Andromaque, pas tout à fait libérée de l'esclavage auquel l'avait réduite le défunt Pyrrhus, l'approuve peut-être... mais le dieu Mars qui se manifeste force tout le monde à reprendre les chemins de l'espace. Minerve est prête à pardonner l'élimination de sa créature la Méduse en contrepartie d'un service : son protégé Ulysse a disparu dans un quadrant mal exploré... il s'agit donc pour Enée de découvrir ce qu'il est advenu de son ennemi ! Sur place, les Troyens vont trouver une planète à la végétation luxuriante, peuplée d'une tribu pacifique : les Lotophages, qui doivent leur nom à leur régime alimentaire si particulier, sont indolents et peut-être abrutis par les dons du mystérieux dieu "Lotus" qu'ils vénèrent... D'où provient cette torpeur qui commence à gagner les réfugiés de Troie ? Les Achéens qui les ont précédés ont-ils succombé à quelque piège atroce ?

Dans ma chronique du précédent volume, je disais que le scénario de la BD semblait vouloir dresser un parallèle entre le périple d'Ulysse et celui d'Enée. Ce schéma d'ensemble se confirme : l'épisode dit "des Lotophages" n'appartient pas à l'Enéide mais bel et bien à l'Odyssée. Si l'album précédent s'appuyait sur une exploration libre de la mythologie gréco-romaine, il s'agit ici de forcer la rencontre - et donc l'interaction - entre les deux héros ennemis, le Grec et le Troyen... On rappellera que, dans l'Odyssée, le héros cherche à revenir au monde humain et au bonheur familial après les péripéties de la guerre de Troie : les Lotophages, qui subissent une véritable déshumanisation liée à leur consommation de drogue végétale, sont l'un des contre-exemples qui peuplent tout le texte homérique. En ce sens, les premières scènes de l'album - où Enée se trouve confronté à l'oubli par la drogue - sonnent juste... à ceci près que l'enjeu de l'Enéide est tout autre : il s'agissait de montrer comment, à partir de rien, s'était construite la puissance romaine. L'astuce narrative consiste donc à transformer le thème des Lotophages pour en faire non pas l'allégorie de la déshumanisation, mais plutôt celle du triomphe de la volonté : une décision audacieuse même si elle semble être faite à contresens du texte initial.

La rencontre avec Ulysse permet d'offrir à Enée un miroir - celui que lui tend son ennemi - et une protection secondaire toujours bienvenue - celle de la déesse Minerve. Derrière la planète où végètent (!) les Lotophages, se trouvent en effet l'intention et les manigances d'une divinité dont je ne dévoilerai pas le nom ici. Les cultures italiques et grecques possédaient un panthéon étendu où les figures divines liées à la nature et à l'agriculture jouaient un rôle important : face à elles, les divinités aux attributions plus abstraites que sont Vénus, Mars et Minerve peuvent apparaître comme autant de rivales... et les scènes finales de l'album peuvent alors s'interpréter comme une illustration de ces contradictions inhérentes au panthéon gréco-romain. Les querelles des dieux sont perpétuelles et leurs alliances mouvantes... mais toujours, ce sont les mortels qui en payent le prix comme le montrait bien la conclusion de la guerre de Troie. Au fond, c'est dans sa conclusion que cet album se révèle plus intéressant qu'il y paraît : le long chemin d'Enée sous la canopée de plus en plus hostile ressemble en effet beaucoup à celui qu'il avait déjà entrepris dans l'album précédent, si bien que la végétation monstrueuse que vénèrent les Lotophages semble n'être que le monstre-de-l'épisode au même titre que la Méduse chez les Amazones...

Malgré ses faiblesses, Les Lotophages apporte un développement intéressant à la série - même si le lecteur, par moments, se plaît à espérer un changement de schéma pour l'album suivant...