Le dernier Troyen tome 4 - Carthago
J'ai poursuivi ma rétro-lecture de la BD Le dernier Troyen scénarisée par Valérie Mangin ! Après deux albums que j'avais trouvés moins bons que le premier, la question commençait à se poser d'un éventuel renouvellement...
Résumé :
Les Troyens errent maintenant depuis une longue période, cherchant toujours la planète promise par la déesse Vénus, la protectrice de leur stratège Enée... Quand ils arrivent dans l'espace contrôlé par la cité-disque de Carthago, c'est pour être aussitôt arraisonnés par les puissants vaisseaux éléphantins de la reine Didon. Celle-ci, douée du pouvoir de prophétie, a eu vent d'un avenir où les descendants des Troyens finiraient par détruire et même stériliser Carthago... Mais Vénus, qu'elle connaît sous le nom de Tanit, va l'empêcher d'accomplir son plan soit donc d'éliminer Rome avant même qu'elle ne soit fondée : à la place, Didon soudain consumée d'amour pour Enée va lui révéler l'ensemble des secrets de sa cité. Au péril de son pouvoir, de sa raison et du destin de Carthago toute entière...
Rome et Carthage : les deux puissances ennemies de l'Occident méditerranéen se sont affrontées au cours de trois conflits - les guerres dites puniques - avant que la première ne l'emporte pour de bon et finisse par raser la cité adverse. L'enjeu pour les deux protagonistes, limité tout d'abord au contrôle de la Sicile - grenier à blé de l'Italie - a fini par devenir celui de la survie face à un ennemi trop puissant pour admettre la possibilité d'une coexistence pacifique. Rome, nouvelle arrivée sur l'échiquier méditerranéen, remporte chacune des guerres avant de chercher à effacer le souvenir de sa grande rivale puis de s'orienter vers sa destinée impériale. Il est donc intéressant de constater que près d'un siècle et demi après la destruction de Carthage, la commande qu'Auguste fait à Virgile d'une épopée nationale à la mesure de l'Imperium tout juste fondé inspire au poète un épisode carthaginois aussi étonnant que déchirant où Enée, dans son voyage vers le Latium, fait escale à Carthage et y rencontre la reine Didon (ou Elissa) : le prince et la reine s'éprennent l'un de l'autre - mais le destin d'Enée se trouve en Italie et Didon en meurt de chagrin... misera femina decedit ad umbras.
Pour la première fois depuis le premier volume de cette BD, l'épisode raconté ici est donc bel et bien tiré de l'Enéide. Sans chercher à se prononcer sur l'historicité de la chose - sans même parler de celle des personnages - la citation carthaginoise de Virgile pouvait s'interpréter comme une forme de remords, de la part de Rome, pour l'élimination de sa concurrente. Le destin de Rome venait d'après Virgile perturber le présent des Troyens : cette dimension est rendue à la perfection dans le contexte de space-opera que Valérie Mangin adopte pour cadre. Didon est ici informée du péril qui guette sa chère Carthago dans un futur encore lointain, mais elle aime le prince Troyen dont les descendants finiront par devenir les ennemis de sa cité-disque... Dans ce paradoxe, se joue déjà la rivalité entre les deux futures grandes puissances, de laquelle ne peut sortir que du malheur : ou celui de Carthage, ou celui de Rome ; quant à celui qui chercherait une troisième voie - et donc, à interpréter de façon audacieuse la prophétie qui conduit Enée vers le Latium - il ne pourra que découvrir à quel point les dieux peuvent se montrer implacables avec les mortels. Cet album est donc celui où Enée, à nouveau, se confronte à la tragédie antique - celle qui se développe quand les personnages font face à des choix impossibles.
Moins convaincant, bien sûr, sera le personnage de la sœur misanthrope de Didon qui permet de donner une certaine signification science-fictive au choix de changer Carthage en cité-disque... mais pas pour autant de marier avec finesse la science-fiction à l'épopée antique. De la même façon, le schéma narratif - où l'auteure fait comme d'habitude raconter l'épisode du moment à Virgile - semble s'épuiser ici, le poète étant tout soudain possédé par nul autre qu'une protagoniste carthaginoise... Le dessin de Thierry Démarez, pourtant, parvient à compenser ces faiblesses en donnant à cet album une jolie dimension futuro-carthaginoise et donc à sortir des thèmes graphiques le plus souvent explorés jusqu'alors : si Carthage était en train de connaître une véritable hellénisation à l'époque romaine, celle qu'Enée visite est encore phénicienne à de nombreux aspects... Les efforts pour faire de cet album une adaptation réussie de l'épisode carthaginois de l'Enéide sont donc nombreux et somme toute efficaces. A ce titre, Carthago est bel et bien l'un des meilleurs volumes de la série !
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