Seuls tome 12
Le dernier tome paru de la série Seuls s'était révélé d'une cruauté inédite : l'un des cinq personnages initiaux y était confronté à une expérience assez atroce pour donner la nausée au lecteur, et les auteurs (Gazzotti et Vehlmann) signaient ainsi l'un de leurs meilleurs albums - à l'efficacité amoindrie hélas par les choix de narration faits sur le long cours. Seuls a désormais quatorze ans : ses premiers lecteurs sont maintenant adultes et ne s'intéressent peut-être plus aux destins des personnages qu'ils avaient connus alors ; le glissement de l'histoire depuis une robinsonnade vers la dystopie caractérisée s'illustre fort bien dans les choix graphiques ayant présidé à une adaptation ratée... Chaque nouvel album constitue donc une occasion, pour les auteurs, de rassurer peut-être leur public : toute la question est de savoir si le but voulu est atteint ici...
Résumé :
Saul a beau avoir été reconnu comme l'Empereur de Néosalem, ses conseillers semblent réservés à son égard... Il ne parvient toujours pas à contrôler ses pouvoirs de télékinésie, et certaines de ses décisions - comme celle de marquer au fer rouge le visage des membres de la huitième famille - ont mis très mal à l'aise certains habitants de la ville. Afin d'affermir son pouvoir, Saul prend la décision d'organiser de nouveaux Jeux : plus dangereux, plus cruels... mais plus propices aussi à l'ascension sociale. Imposant à Leïla d'y participer, il espère briser enfin son esprit rebelle et faire ainsi d'une pierre deux coups... Ce qu'il ne sait pas, c'est que la révolte commence à murmurer au sein même de Néosalem : et si Leïla parvenait à lui échapper ?
Le personnage de Saul est réputé apprécié du jeune public. Depuis son apparition dans la série (dès le tome 3, Le clan du requin) il se caractérise par une ambition confinant à l'hybris, un charisme réel et des idées nocives (on rappellera que le personnage admire le Troisième Reich et son idéologie). La force de caractère de Saul et peut-être aussi sa détermination (le poussant à s'exposer au danger lui-même lorsque celui-ci se présente) peuvent expliquer cet attachement d'une partie du public à ce personnage négatif. Le présent album, qui lui fait la part belle, vise peut-être à montrer en quoi Saul n'est pas un modèle mais bel et bien un repoussoir : cruel, pervers et manipulateur, il n'est en réalité qu'un lointain avatar d'un autre "fauve blond" et sa déconfiture promet d'être apocalyptique.
Face à lui, Leïla - qui est quant à elle l'un des cinq personnages des origines de la série - s'érige en symbole d'une révolte en germination. Le joug de Saul trouble jusqu'à des personnages puissants de Néosalem : s'il est reconnu comme étant le champion des forces du Bien, pourquoi donc agit-il avec autant de cruauté ? Leïla, déterminée à montrer qu'elle n'est pas comme lui - et donc, à menacer les fondements du système de pensée auquel il doit son pouvoir - s'apparente à une concurrence idéologique sérieuse qu'il doit traiter au plus vite : c'est ainsi que les Jeux qu'il organise, et où il complote l'élimination de son adversaire, prennent des allures de Hunger Games et ancrent l'album dans le genre dystopique. Une fois la dernière page tournée, le lecteur comprend que la base du pouvoir de Saul a été bien ébranlée malgré sa démonstration de force : va-t-on vers une guerre civile au sein même du camp qu'il dirige ?
Bien qu'il parvienne à soulever des questions intéressantes et à introduire des concepts nouveaux dont certains même sont énigmatiques, cet album ne satisfait pas, hélas. A nouveau, le choix narratif qui consiste à isoler certains des personnages et à se focaliser - album après album - sur l'un d'entre eux plutôt que sur les autres conduit à questionner l'intérêt de ce cycle. Ayant atteint son âge déjà vénérable, Seuls est caractérisée par une ambiance graphique maintenant rodée mais aussi par des personnages qui ont imprimé leurs caractères sur la structure même de son imaginaire. En l'absence de certains d'entre eux, c'est l'intrigue toute entière qui semble tourner à vide : pour le troisième album consécutif, on se dit que cela ne marche pas et l'on se prend à espérer que ce cycle prenne fin... voire même que les auteurs se mettent à plancher avec sérieux sur une conclusion rapide pour l'ensemble. A un moment, continuer l'aventure va signifier aller trop loin et décevoir : jouer les prolongations, c'est jouer avec le feu et courir le risque de compromettre la série toute entière...
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