Dark saison 3
J'ai déjà parlé ici de Dark, la série allemande à la sombre histoire de voyages temporels... Winden, la ville maudite, revient pour une troisième et dernière fois dans cette saison dont la fonction est de répondre - enfin - aux questions toujours plus lancinantes qui se posent depuis le début.
Résumé :
A l'instant même où démarre l'Apocalypse, Jonas est tétanisé : son moi-vieillard, Adam, vient de tuer Martha... mais voici qu'une autre Martha - semblable à la sienne et pourtant différente - prétend l'aider en utilisant une machine temporelle plus avancée que celle qu'il connaît déjà. Un autre monde existe où Mikkel n'a jamais été happé par le temps, où Jonas et Adam n'existent pas, et où quelqu'un d'autre manipule les époques : Eva n'est autre qu'une Martha vieillie, au visage marqué, devenue elle-même voyageuse du temps et ennemie d'Adam. Or les deux mondes ne sont pas fermés l'un à l'autre et l'attirance entre Jonas et Martha pourrait avoir des conséquences inédites. Qui sont ces inquiétants inconnus - un enfant, un adulte et un vieillard - aux visages frappés d'un bec de lièvre qui rôdent à différentes époques de Winden, dans un monde comme dans l'autre ? Et pourquoi l'Apocalypse barre-t-elle aussi le futur du monde où Jonas est absent ? Pour enfin réparer les douleurs séculaires qui minent Winden et ses habitants, il va falloir identifier l'origine du nœud qui en synchronise les époques... mais quelles en seront les conséquences pour les voyageurs temporels ?
La première saison se terminait sur une révélation : une Apocalypse aurait lieu à Winden quelque part entre 2019 et 2052. La seconde révélait la date précise de cet événement - le 27 juin 2020 - et montrait l'enchaînement des circonstances l'ayant rendu possible : en multipliant les procédés de voyages temporels, sa narration se mettait à suggérer avec insistance qu'il existait un conflit entre deux factions de voyageurs dont les interventions ne se neutralisaient pas toujours. Avec la disparition du "diable blanc" (une Claudia maintenant très âgée) il semblait, au terme de cette seconde saison, qu'Adam restait seul maître du jeu et que sa vision cynique de son propre destin allait triompher. La présente saison confirme la nature de sa pensée : piégé dans le temps - d'abord dans le futur post-apocalyptique de Winden, puis dans son passé à la perspective obstruée par la première guerre mondiale - et sans cesse confronté au poids de ses erreurs et de son incompétence, Jonas finit par devenir le monstrueux Adam au visage fondu et à l'esprit glacé que l'on connaît. En effet, Adam désire tout compte fait garantir que le cycle se répète à l'identique... afin de construire puis d'utiliser dans un lointain futur l'instrument de sa destruction, et donc mettre fin à l'univers de souffrance qu'il a fini par détester.
La force antagoniste à laquelle il se confronte est dirigée par une Martha elle-même vieillie et au visage marqué : deux mondes s'entrelacent en effet à Winden, corrompus par l'invention du voyage temporel, et l'irruption tardive de cet autre monde où Jonas n'existe pas ne choque pas tout à fait dans la mesure où - si l'on y réfléchit un peu - certains indices en suggéraient l'existence et même la logique interne depuis le début de la série. En effet, si l'existence de Jonas est liée par ontogénèse à celle du voyage temporel, il s'avère peu à peu que celle de Martha l'est aussi : plusieurs personnages finissent par apparaître, au gré des voyages admis ou contraints, dans leur propre arbre généalogique et se greffent donc à la réalité ordinaire. Au fond, il devient clair que l'existence du voyage temporel finit par se justifier elle-même : ce paradoxe est donc celui qui explique tous les autres et assure en fait le malheur de Winden, les vivants issus d'un arbre généalogique aberrant ne remplaçant pas ceux qui sont morts alors qu'ils y avaient leur place... Pourtant, la solution ne peut venir non plus de Martha devenue Eva : elle-même fait partie de cet arbre généalogique tourmenté, dont les racines se mélangent aux branches et dont le fruit unique n'est autre qu'une Apocalypse dans son monde comme c'est le cas dans celui de Jonas. De ce fait, Eva cherche elle aussi à maintenir le cycle à l'identique - mais elle le fait pour mieux protéger son propre enfant issu des deux mondes, en espérant que quelqu'un finira par trouver une solution... La parenté entre Adam et Eva n'est donc pas que de méthodes, elle est aussi d'objectifs même si leurs pensées semblent contradictoires. De leur lutte, ne peut donc sortir que plus de chagrin.
L'une des questions qui se posaient depuis le début de Dark était de savoir si ce monde était le nôtre. Avec l'irruption du second monde au terme de la deuxième saison, cette question devenait plus complexe encore : l'un des deux mondes était-il le nôtre, et si oui, duquel s'agissait-il ? Cette énigme n'était pas l'une des moindres de la série, dont l'intrigue était affixée à un futur pas trop lointain : cela lui permettait d'être familier... mais aussi de pouvoir s'insérer dans notre propre avenir. De la solution adoptée par les scénaristes afin de lever le paradoxe premier que constitue l'invention du voyage temporel, il ne sera rien dit ici car cela gâcherait le spectacle pour ceux qui ne l'ont pas encore contemplé : il suffira de dire que plus que jamais Dark se fait asimovienne en reprenant un argument tout droit sorti de La Fin de l'Eternité ! La scène finale de la saison et donc de la série, en montrant les personnages survivants de la génération adulte en 2020, permet de comprendre l'étendue des dommages qu'occasionnait l'existence du voyage temporel : avec la disparition totale de certaines familles et donc de certains individus, c'est un Winden toujours déprimant et pluvieux qui se dessine - mais en tout cas, un Winden où les frustrations et l'ambition ne donnent plus lieu à des monstres et à des filiations aberrantes. En somme, la normalité c'est d'avoir le loisir de s'ennuyer dans une ville où le mal et la banalité ont cessé de s'entremêler...
Il semblait difficile de nouer avec efficacité l'ensemble des fils d'intrigue mis au jour dans les deux premières saisons de Dark. Les scénaristes y sont arrivés, avec un cynisme qui devrait de surcroît plaire à un certain nombre de spectateurs...
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