Dune roman graphique tome 1
2021 est censée être l'année de Dune. L'adaptation par Denis Villeneuve aurait dû sortir il y a quelques semaines mais - retardée par la peste blanche Covid-19 - ne sera vue qu'à l'automne prochain. Frank Herbert ne sera toutefois pas tout à fait absent du viseur en ce début d'année : son fils Brian, après avoir entrepris un chantier controversé de continuation de son oeuvre, s'est attelé à l'adaptation en bande-dessinée du roman ouvrant le Cycle de Dune. Toujours assisté par un certain Kevin J. Anderson - on appréciera ou non - au stylo et ayant confié les pinceaux à deux dessinateurs dont les noms me sont inconnus (relire le sous-titre de ce blog et déposer son cerveau avant d'entrer, merci), Brian Herbert délivre ici la première partie d'un projet a priori très intéressant. Et donc, a priori très intéressé, je me suis empressé de me le procurer le jour de sa sortie - elle-même retardée par rapport à la date annoncée au départ - et de le lire dans la foulée en version traduite (par Alex Nikolavitch, ce qui constitue un gage de sérieux)...
Résumé :
Paul a quinze ans, et il est l'héritier de la Maison des Atréides. Sur la planète océanique de Caladan, il se prépare au départ vers la poussiéreuse Arrakis - le nouveau fief de son père, le Duc Leto. Une vieille femme qui traite sa mère Jessica comme une servante lui rend une visite inquiétante et le soumet à un test périlleux, censé déterminer s'il est digne d'être compté par les êtres humains vivants ! Il semble en effet que Jessica ait désobéi au puissant ordre du Bene Gesserit, qui tire les ficelles dans l'ombre de l'Imperium afin de produire un surhomme par de savants croisements. Pour la Révérende-Mère qui a testé Paul, certains événements pourraient se précipiter qui sont susceptibles d'entraîner la chute de la Maison des Atréides et la perte du potentiel génétique tant espéré : sur Giedi Prime, la Maison Harkonnen - ennemie jurée de Leto - attend son heure... Jadis maître d'Arrakis et de sa richesse phénoménale - à savoir, l'épice de longue vie que l'on ne peut trouver nulle part ailleurs dans l'Imperium - le Baron Vladimir Harkonnen a comploté avec l'Empereur lui-même afin d'abattre son ennemi à tout jamais. Arrivés sur Arrakis, les Atréides vont être confrontés aux pièges laissés derrière eux par leurs prédécesseurs, à la rigueur de l'environnement où l'eau vaut plus cher que la vie humaine... mais aussi aux croyances des indigènes, que les Harkonnen méprisaient et dont certains semblent considérer Paul comme une figure spirituelle et peut-être même le Messie. Leto le sait, Arrakis n'est rien d'autre qu'un piège... Lui et ses hommes dévoués pourront-ils en faire le foyer qu'il espère offrir à Paul ? Ou bien celui-ci n'aura-t-il à la fin pas d'autre choix que de s'enfuir au désert, à la recherche d'un abri précaire auprès des Fremen - les autochtones libres dont il rêve certaines nuits depuis son enfance sur Caladan ?
L'adaptation de Dune en bande-dessinée constitue, comme dit plus haut, un objet a priori très intéressant. Il y avait eu, dans la foulée de la sortie du film de David Lynch en 1984, une adaptation de celui-ci en comics : l'objet lui-même est peu connu en francophonie et semble d'une qualité discutable, son défaut principal étant bien entendu qu'il ne s'agit que d'une adaptation indirecte par transitivité - une adaptation d'adaptation, en réalité... Si de nombreux artistes-dessinateurs s'intéressent à Dune, leurs travaux restent dans le champ du fanart : à ce titre, le présent roman graphique est quelque chose de nouveau et de jamais vu auparavant. Le lecteur exigeant - ce qu'est chaque fan de Dune, par déformation intellectuelle en quelque sorte - voudra le scruter avec soin car ce produit est susceptible de constituer une porte d'entrée au Cycle pour de nouveaux amateurs. On le sait, le jeu de Cryo a été un chemin vers Dune pour de nombreux fans des années 90 : ceux-là se doutent qu'un roman graphique, type d'objet entré dans le paysage éditorial en francophonie depuis quelques années, pourrait devenir un chemin pour les futurs fans des années 20.
Un roman graphique, c'est avant tout une BD qui ne dit pas tout à fait son nom. A ce titre, le lecteur exigeant évoqué plus haut s'intéressera bien entendu à son dessin et se dira aussitôt que les dessinateurs ne sortent pas tout à fait des sentiers battus. Le graphisme est sage et soigné, se faisant accessible pour les lecteurs de tous les continents. Les visages choisis pour les personnages sont différents de ceux des acteurs du film de Denis Villeneuve, ce qui permet au roman graphique de s'affirmer aussitôt comme un produit dérivé non du film mais bel et bien du livre, ce qui est judicieux dans un contexte où le roman graphique précédera de plusieurs mois la sortie du film. Les choix de couleurs sonnent juste et retranscrivent fort bien l'ambiance différente des trois planètes visitées - Caladan, Giedi Prime et Arrakis - par l'intermédiaire de palettes spécifiques, ce qui n'est pas sans rappeler l'une des astuces narratives de la mini-série Dune ! Les cases et autres panneaux sont riches en détails, mais au fond peu dynamiques, et c'est peut-être le principal reproche que le lecteur herbertien pourra faire à ce travail : à la lecture, le texte de Frank Herbert est souvent avare en détails mais pourtant vivant et motile. De ce fait, au feuilletage, ce roman graphique finit presque par faire penser à la Tapisserie de Bayeux là où - à choisir - on aurait plutôt espéré la Mosaïque d'Alexandre...
C'est bien entendu l'adaptation du texte qui sera toutefois considérée avec le plus d'attention, les auteurs de celle-ci ayant eu l'occasion de décevoir par le passé pas mal de fans de Dune par leur oeuvre de continuation. Certains fans pensent en effet que Brian Herbert ne comprend pas tout à fait l'écriture de Frank, et que l'abondante capacité d'écriture de Kevin J. Anderson n'était pas la ressource utile pour pallier à cette incompréhension et entreprendre ce chantier de plus de vingt ans. Il s'agissait ici non pas de prendre le relais de Frank Herbert mais bel et bien de l'adapter. Les dialogues sont ainsi par moments remaniés à des fins d'ellipse plutôt que de simplification, ce dont on sera reconnaissant car le schéma d'ensemble n'en souffre pas, même si certains éléments viennent du coup à être laissés de côté - ainsi la perversité du Baron Harkonnen n'est-elle pas encore explicitée. La composition des cases et des panneaux est bien comprise comme faisant partie intégrante de la narration et même si quelques dessins nécessitent qu'on y revienne pour bien comprendre leur position et leur justification, il faut reconnaître que cette dimension du roman graphique a été de toute évidence planifiée en amont par Brian Herbert et Kevin J. Anderson qui ont - pour une fois, diront les mauvaises langues - fait honneur à leur intention professée de respecter le texte herbertien. Comment toutefois parler de narration herbertienne sans rappeler à quel point Frank donnait au lecteur un aperçu permanent de l'état d'esprit de ses personnages, à travers les pensées retranscrites en lettres italiques ? Une solution originale a été adoptée ici, en la forme non de phylactères de pensée mais bel et bien de récitatifs superposés à l'image, dont la couleur varie selon le personnage : Paul voit ses pensées retranscrites sur fond vert et la Révérende-Mère les siennes sur fond noir, par exemple... Ainsi, l'association des trois éléments de narration - texte, images et symboles - est-elle pensée avec intelligence et permet-elle de transmettre quelque chose du style herbertien dans ce support nouveau.
L'impression générale de ce premier volume est donc plutôt positive. De toute évidence, les auteurs - ceux du texte comme ceux du dessin - ont joué la sécurité à chaque endroit où c'était possible pour mieux servir le contenu. Le résultat est une adaptation de Dune qu'il serait dommage de dire scolaire : ce produit s'adresse en fait au public le plus large, ce qui explique sans doute certaines des ellipses évoquées plus haut. Dune roman graphique est donc pensé comme un nouveau chemin vers le Cycle : espérons que ses prochains volumes confirmeront sa capacité en ce sens...
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