Cosmos incarné

Ce roman est le troisième et dernier volet de La Fleur de Dieu, cycle d'inspiration dunienne signé par Jean-Michel Ré. Sa lecture m'a été facilitée par la gentillesse de son éditeur Gilles Dumay grâce auquel j'ai pu accéder à l'oeuvre en avant-première. Cette chronique est le retour de celle que j'avais remise il y a quelques mois à la revue Bifrost.
Résumé : 
L'Empereur et ses clones sont morts et le chaos se répand dans tout l'espace humain : voies de communication rompues, affrontements généralisés signent le nouveau quotidien des sujets impériaux. Le Seigneur de la Guerre n'exulte pourtant pas encore : sa victoire n'est pas totale... et son duel contre l'Enfant lui a montré qu'elle pourrait bien ne l'être jamais. Très au-delà des frontières de l'Empire, l'Enfant a isolé des groupes humains selon des règles qu'il est encore le seul à comprendre. Sur l'un de ces mondes reculés, Kobayashi rencontre les autres protégés auquel l'Enfant l'a remis : une tâche dangereuse l'attend, qui promet d'être porteuse de transformations pour lui, pour le groupe qui l'accueille et sans doute même pour l'espèce humaine... Le moment s'approche pourtant où il devra revenir au cœur de l'Empire ou de ce qu'il en reste - et d'y trouver le Seigneur de la Guerre de Latroce. Trouvera-t-il comment l'amener à jouer le rôle que le Destin lui a prescrit ?
Terminer une trilogie est parfois le moment le plus délicat pour un auteur, en SF comme en d’autres genres : au-delà du travail qui consiste à nouer les fils d’intrigue, il s’agit de lever le voile sur le schéma d’ensemble de l’œuvre – soit donc en quelque sorte à sortir de l’ambiguïté pour de bon, et à dire plutôt qu’à faire allusion. Dans les deux précédents tomes de La Fleur de Dieu, Jean-Michel Ré semblait relire le Dune de Frank Herbert de façon idéaliste et même spiritualiste : reprenant un propos confinant parfois au mystique, il donnait l’impression de suivre la lecture d'Alexandro Jodorowsky plutôt que le matérialisme herbertien. La question était donc posée de savoir s’il était possible que La Fleur de Dieu finisse par tracer un trait d’union entre ces deux visions.

Cosmos incarné propose tout d’abord une clarification en accordant enfin son statut de personnage capital au Seigneur de la Guerre de Latroce, antagoniste absolu qui au terme du second tome parvenait en partie à ses fins en éliminant le pouvoir impérial de l’échiquier galactique : de la sorte, l’ensemble de la trilogie peut s’apparenter à une série d’échanges et de relations pas toujours pacifiées mais pas toujours conflictuelles non plus entre trois personnages capitaux distincts. L’Enfant est le premier apparu et défini en tant que tel : post-humain ou ahumain, il témoigne de l’irruption – ou de la persistance – d’une forme de transcendance du corps et de l’esprit au plus fort d’une époque matérialiste. Kobayashi apparaît lui aussi capital peu de temps après : choisi par l’Enfant qui lui enseigne à « voir » au-delà des apparences, il montre que l’on peut choisir de s’engager sur la voie de la transcendance. Le Seigneur de la Guerre de Latroce, personnage pétri d'hybris comme on en rencontre peu, s’affirme ici à ce statut malgré la débauche de technologie qui lui donne une forme d’immortalité : cette transcendance-là est perverse par nature, et ce qui fait de lui un personnage capital c’est sa capacité à comprendre qu’une autre transcendance est possible et même désirable. Dans Cosmos incarné, les symboles sont omniprésents : l’enjeu de cette intrigue est celle de l’acceptation par l’être humain de la transcendance – mais aussi de la possibilité d’une rédemption. Certains personnages importants ou secondaires persistent à vouloir jouer selon les anciennes règles : leur destin montre que le monde matérialiste est bel et bien condamné.

Si l’écriture chargée de symboles et si l’importance accordée à la transcendance peuvent déplaire – et même apparaître comme autant de faux-sens aux yeux des lecteurs herbertiens – il faut reconnaître que les enjeux de La Fleur de Dieu et de son dernier tome en particulier vont au-delà d’un simple appel lyrique à construire un monde plus idéaliste. L’Empire galactique de cet univers est appelé à s’effondrer – les épigraphes qui l’évoquent le faisant souvent à travers une expression transparente, celle de « Premier Empire » – mais l’espèce humaine, pourtant, n’est pas condamnée à la régression ou à la barbarie. Le travail de dispersion entrepris par l’Enfant est décrit comme donnant lieu à de nouvelles civilisations isolées, dont la redécouverte future promet à chaque fois de redéfinir la compréhension des événements décrits dans la trilogie. C’est ici que Jean-Michel Ré parvient à réintroduire des conceptions herbertiennes et donc matérialistes : avec d’abord l’allusion (transparente elle aussi) à la Dispersion qui vient séparer L’Empereur-Dieu de Dune des Hérétiques de Dune ; et ensuite avec cette idée selon laquelle chaque civilisation humaine, au fond, doit jouer son propre rôle dans le concert universel et que toute uniformisation est synonyme de stagnation puis de décadence. L’entropie était l’ennemie dans le Cycle de Dune, elle l’est aussi dans La Fleur de Dieu, mais elle ne s’y exprime pas tout à fait de la même façon.

Cosmos incarné vient par conséquent conclure avec intelligence un cycle audacieux, qui ne touchera peut-être pas un lectorat nombreux, mais qui méritait bel et bien d’être écrit.

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