Les Marchands d'armes
J'ai déjà eu l'occasion de parler ici d'A-E Van Vogt : cet auteur de l'Âge d'Or figure dans une anthologie chère à mon cœur, et j'ai par ailleurs chroniqué ici son Cycle du Ᾱ. Bien avant d'ouvrir ce blog, je l'avais déjà lu et plus ou moins apprécié - si bien que je n'ai jamais tenté d'aller plus loin dans ma découverte de son oeuvre alors que j'aurais été en mesure de le faire dès la fin des années 90. Il faut reconnaître que cette lacune dans ma culture SF ne m'a pas tout à fait dérangé depuis de longues années !
A la faveur d'un dossier spécial de la revue Bifrost, j'ai pris en charge l'investigation du cycle des Marchands d'armes. Constitué de deux romans (Les Armureries d'Isher et Les Fabricants d'armes) dont le premier correspond à un fix-up de nouvelles, ce cycle se déroule dans un futur lointain, sous la dictature de l'Empire d'Isher. Il y est question de contre-pouvoirs et du statut de l'armement individuel dans une société corrompue. Il y est question aussi de l'équilibre des pouvoirs dans un système fermé... ainsi que de la façon de s'extraire d'une stase civilisationnelle malsaine : à certains aspects, Les Marchands d'armes peut s'apparenter à une préfiguration de Dune...
En dire plus reviendrait à en dire trop : en raison de la nature composite de cette oeuvre, je ne produirai pas de résumé plus détaillé pour les deux volumes de ce cycle des Marchands d'armes. Le reste de cette chronique n'est autre que le retour de celle que j'ai rendue à Bifrost.
En dire plus reviendrait à en dire trop : en raison de la nature composite de cette oeuvre, je ne produirai pas de résumé plus détaillé pour les deux volumes de ce cycle des Marchands d'armes. Le reste de cette chronique n'est autre que le retour de celle que j'ai rendue à Bifrost.
A-E Van Vogt n’est pas né américain, mais sa carrière d’auteur publié dans des revues américaines dont Astounding, son déménagement en Californie en 1944 et sa naturalisation en 1945 constituent autant d’attaches fortes aux Etats-Unis. Les marchands d’armes, cycle publié – au fil des remaniements et des révisions – entre 1941 et 1952 et fait de nouvelles (associées en un roman fix-up, Les Armureries d’Isher) et du roman Les Fabricants d’armes, s’apparente presque à une novélisation du second amendement sus-cité. Dans un futur lointain, l’empire d’Isher exerce un monopole de la violence légitime sur l’ensemble de l’humanité, laquelle a colonisé le système solaire tout entier. A la tête de cet Etat se trouve l’Impératrice Innelda Isher, laquelle souffre en raison de sa jeunesse d’un a priori de naïveté voire d’incompétence. L’État d’Isher est par essence corrompu, les charges officielles y étant achetées ou vendues par les fonctionnaires subalternes, le crime lui-même étant admis voire toléré par la coutume à tous les échelons d’autorité : dans ce contexte, l’espèce humaine est en pleine stagnation, tout espoir d’ascension sociale étant inaccessible ou en tout cas limité aux éventuels gains par le jeu de hasard. Néanmoins, il existe un contre-pouvoir sous la forme des Armureries d’Isher, dont les magasins sont réputés inaccessibles à la soldatesque impériale – et qui vendent aux gens ordinaires des armes à la stricte vocation défensive. Les Armureries proposent aussi un service judiciaire parallèle permettant d’obtenir un recours en cas d’escroquerie et interdisent en réalité à l’Empire de se changer en parfaite dictature totalitaire. Les grains de sable que constituent les Armureries se sont faits assez nombreux au fil du temps pour ne plus être négligeables dans les rouages de l’Empire – si bien qu’au début de cette histoire, l’Impératrice Innelda cherche coûte que coûte à les éliminer.
Les deux romans du cycle adoptent des points de vue différents afin d’illustrer l’intérêt du second amendement sus-cité. Les Armureries d’Isher proposent des personnages naïfs qui découvrent l’univers truqué qui est le leur – ou bien où ils sont projetés par erreur : voyageur temporel, candidat à l’émulation de Rastignac ou même citoyen ordinaire et bien inséré, tous auront à faire face à la corruption impériale et trouveront de l’aide auprès des services parallèles des Armureries. Le contre-pouvoir qu’elles incarnent s’exerce donc ici de la façon la plus évidente et naturelle qui soit, c’est-à-dire comme un recours face au monolithe étatique. Au contraire, dans Les Fabricants d’armes, le lecteur suit un personnage lié à la fois aux Armureries et à la hiérarchie impériale : ce roman-là pose en réalité la vieille question attribuée à Juvénal Quis custodiet ipsos custodes ? puisqu’il s’agit d’interroger la nature de l’équilibre des pouvoirs. Cet équilibre est-il spontané ? Doit-il être mesuré ou même régulé par un arbitre ? Et cet arbitre s’il existe, quelles doivent être ses qualités ? Comment s’assurer qu’il ne cède pas lui-même tôt ou tard à la tentation de la tyrannie ? Questions profondes, qui méritaient bien d’être posées à travers des mises en abyme comme l’auteur le fait ici.

Il n’est pas toujours légitime de reprocher son défaut de prescience à un auteur de SF et seuls des historiens sauraient dire si l’auteur des Marchands d’armes était en mesure, ou non, d’envisager à la lumière des éléments dont il disposait le fléau que constitue la très large diffusion des armes individuelles aux Etats-Unis soixante-dix ans plus tard. On peut néanmoins se dire que Les Marchands d’armes, perspective rétro-futuriste manquée, peut être laissé de côté – sauf si, bien sûr, on s’intéresse aux interrogations datées quant à la nature et à la nécessité d'un contre-pouvoir.
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