Famille et Cie

Il y a quelques années je parlais d'Un Secret de Famille, deuxième volet de la série Les Princes-Marchands de Charles Stross. Trouvé chez un bouquiniste, le présent titre en est la suite.

Résumé : 

Miriam - ou plutôt Helge - est sous surveillance du Clan : elle a ouvert un nouveau monde, ce qui promet de nouvelles richesses et aussi de nouveaux dangers... mais surtout, elle ne s'intègre pas bien à la société archaïque du Gruinmarkt. Pour les grands-mères du Clan qui tirent les ficelles des mariages et des appariements, elle représente un parti intéressant mais peu fiable compte-tenu de sa volonté d'indépendance. Aux Etats-Unis, dans le monde où Miriam a grandi, une agence gouvernementale qui travaille avec un transfuge du Clan réalise l'ampleur de la menace que font peser ces passeurs de drogue et de biens à travers les mondes parallèles... La volonté d'indépendance de Miriam ne risque-t-elle pas d'avoir des conséquences désastreuses, pour elle comme pour ses projets... mais aussi pour sa famille y compris la plus proche ?

Le premier roman de cette série ne m'avait pas tout à fait convaincu - et d'ailleurs, j'avais mis plusieurs années avant de me pencher sur sa suite : j'y avais trouvé Stross moins drôle et moins en verve qu'ailleurs, donnant moins le vertige qu'à l'accoutumée... Sans beaucoup plus donner le vertige, le second volume avait montré comment l'auteur parvenait à dérouler une bonne partie des implications des postulats qui fondent cet univers : Un Secret de Famille n'était pas hilarant comme un Stross l'est souvent mais sa solidité donnait l'impression d'être en terrain plus familier. Cette fois-ci, l'objet de ce présent volume est d'intensifier la confrontation entre Miriam et son Clan.

Cette confrontation est politique : le Gruinmarkt qui est la base arrière du Clan est un pays soumis à une monarchie absolue, où règnent les inégalités de classe et de sexe mais aussi l'arbitraire. Miriam a beau être membre de la noblesse, elle fait figure - en raison de son éducation à l'occidentale - de tante excentrique et même de danger potentiel pour les dirigeants conservateurs de ce royaume d'inspiration scandinave. Ses alliés sont peu sûrs ou disparus, et Miriam continue à réagir comme une américaine là où elle devrait plutôt agir comme une princesse barbare. Son destin, au fond, a été choisi avant même sa naissance et la couverture en dit plus qu'il ne faudrait sans doute : un mariage l'attend, qui sera politique et sanctionnerait alors l'union du Clan avec la dynastie royale du Gruinmarkt. Cette confrontation est donc sociale et morale : Miriam se rebelle contre l'ordre familial et en paye un prix de plus en plus élevé. Refusant d'être considérée comme un utérus ambulant, elle va subir la contrainte sans arrêt plus sévère des membres de sa propre famille... jusqu'à ce que la tragédie finale éclate, puisqu'il y a quelque chose de pourri au royaume du Gruinmarkt !

Mais surtout, la confrontation promet d'être militaire. Jusqu'à présent, Miriam n'a été dans le meilleur des cas qu'un pion isolé sur un échiquier qu'elle comprenait mal. A présent, la voici détentrice d'intérêts dans trois mondes différents, alors même que leurs pouvoirs politiques respectifs sont sur le point d'être engagés dans des conflits nouveaux. En voulant faire le bien dans le monde victorien qu'elle considère comme "sa propre affaire", Miriam ne risque-t-elle pas d'accélérer l'irruption d'un conflit ravageur là-bas ? Ses actions idéalistes et maladroites ne sont-elles pas susceptibles de déclencher un conflit voilé entre le Gruinmarkt et les Etats-Unis ? L'univers de danger des Princes-Marchands se précise, avec une logique implacable : il semble que le Clan soit en train de perdre le contrôle du pouvoir qu'il détenait, puisque de plus en plus les voyageurs sont contraints à passer la barrière entre les mondes...

Le voyage entre les mondes, cette aptitude que Miriam découvrait dans le premier roman, ressemble à une promesse magnifique de richesse et de magie. Le talent de Charles Stross consiste bel et bien à montrer que le contrôle de ce don par des pouvoirs politiques - et ce, quels qu'ils soient - va changer le rêve en cauchemar. Le lecteur en obtient un aperçu au terme du présent roman : si sa lecture est parfois un peu longue - Stross ayant tendance à s'attarder un peu trop sur certaines scènes - il n'en reste pas moins que ce qui s'esquisse pour le moment convainc. Reste à voir s'il y aura confirmation au prochain épisode...