Les aventures du pilote Pirx
Stanislas Lem n'est pas que l'auteur de Solaris : le présent recueil de nouvelles, inédit en français, contient des textes écrits dans les années 60. En raison de la nature de ce volume, il m'apparaît difficile d'en produire un résumé détaillé.
Pirx est le personnage principal - que je n'ose dire "héros", pour des raisons qui seront bientôt clarifiées - de ces nouvelles. Comme le titre du recueil l'indique, il est pilote... mais ce qu'il est avant tout, c'est cosmonaute - soit donc, un voyageur du cosmos. Le lien chronologique entre les différents textes peut sembler difficile à établir : si le premier nous le montre assez jeune au cours de sa formation de cadet, les autres donnent à voir un Pirx plus âgé - mais son âge semble osciller entre la trentaine et la cinquantaine, et il n'est pas certain que quelques-uns des textes plus tardifs ne le rajeunissent pas. Pirx n'est pas un cadet très studieux, il n'est pas non plus un pilote ambitieux... mais il possède une qualité rare, sous la forme d'un solide bon sens allié à un certain flegmatisme. Les péripéties qui l'affectent - pendant ses études comme au cours de sa carrière - conduiraient n'importe qui au point de rupture (et c'est d'ailleurs ce qui se produit dès le texte d'ouverture du recueil)... mais il y fait face avec une tranquillité que l'on pourrait confondre avec de l'insouciance. L'auteur montre ici qu'il a très bien compris que l'espace est l'un des milieux les plus dangereux qui soient : l'inattendu y conduit souvent à la catastrophe, mais les personnes trop nerveuses - de celles qui sont capables de vouloir solutionner les problèmes avant même qu'ils ne se soient développés - peuvent transformer une situation anodine en piège mortel. Face aux périls de l'espace, un esprit un peu détaché comme celui de Pirx constitue peut-être une arme de choix - puisqu'il lui permet de survivre, le temps de se constituer une solide expérience de cosmonaute.
Si la temporalité de ces textes n'est pas spécifiée, il est permis d'imaginer que leurs intrigues se passent quelque part au XXIème ou au XXIIème siècle. Pour Stanislas Lem, c'est un futur encore un peu éloigné ; pour nous, c'est un futur plus proche voire actuel (qui sait). Force est de constater que les technologies citées sont vraisemblables et crédibles, de la propulsion spatiale à l'intelligence artificielle en passant par l'habitat extraterrestre, ce qui permet à l'auteur de s'intéresser aux relations entre l'être humain et ses outils comme à celle entre les outils et leur environnement. L'outil prolonge la main, mais la question de sa fiabilité reste posée : plus l'outil est complexe (vaisseau spatial, robot ou ordinateur de bord...) et plus le risque existe d'une défaillance imprévue voire imprévisible... un peu comme si résoudre les problèmes impliquait d'en créer de nouveaux. C'est dans cet environnement d'autant plus incertain qu'il est contrôlé à l'excès parfois que l'expérience d'un Pirx aux intérêts éclectiques et à la posture dilettante se fait précieuse. Eviter un accident, cela nécessite parfois de penser d'une autre façon, et les traits de caractère du pilote le prédisposent à la pensée "hors cadre". En ce sens, Pirx finit presque par acquérir un statut de super-héros, comme s'il était un Capitaine Futur paresseux !
A l'instar de toute bonne histoire de super-héros, Les aventures du pilote Pirx savent donc se dérouler hors du temps tout en posant des questions universelles. Il sera possible de regretter, bien sûr, le fait que les dimensions de l'espace - même si elles sont citées voire même exploitées avec une vraie rigueur scientifique - ne soient pas mises en valeur. Mis à part quelques explorations de mondes étrangers - dont une bizarre expédition extra-solaire sans précision donnée quant à la méthode de voyage spatial employée - on ne voit jamais le personnage prendre le temps de rêver en contemplant les étoiles - et donc, le personnage ne fait jamais rêver son lecteur comme un récit de space-opera serait censé le faire. La chose peut s'entendre d'un point de vue de logique interne - Pirx, au fond, est un personnage très terre à terre... un comble pour un cosmonaute ! - mais surprend d'un point de vue littéraire. On est loin ici des énigmes terrifiantes et jamais résolues d'un Solaris, par exemple : même le seul texte où Pirx est confronté à l'étrangeté absolue, celle de l'irruption d'une civilisation extraterrestre, se conclut par une pirouette narrative et s'apparente presque en réalité à un pastiche. Les super-héros, parfois, sont très humains dans leurs défauts : l'espace manquant de bras en cette époque future, il faut en déduire que l'on peut envoyer monsieur ou madame tout le monde piloter un vaisseau - et que par conséquent, le défaut de Pirx n'est autre que sa banalité.
L'espace pourra-t-il être peuplé de gens ordinaires ? A l'époque où ce recueil a été constitué, c'était sans doute une idée révolutionnaire. De nos jours, alors que l'espace est réservé à des individus triés sur le volet - par les compétences techniques ou par l'argent, ce qui est pire - l'idée semble si naïve qu'elle porte à sourire...
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