Armada
Ernest Cline est l'auteur de Ready Player One, dont j'ai eu l'occasion de parler de l'adaptation ici même il y a quelques années. Armada est un court roman dont la veine (celle de l'hommage aux cultures geeks) se rapproche de son prédécesseur : après le cyberpunk, revisitons donc le space-opera !
Résumé :
Zack est orphelin de père, il s'ennuie au lycée, il n'a pas de copine... Son échappatoire, c'est Armada, un jeu vidéo où il excelle et dont la pratique est encouragée par sa mère et par le gérant de la salle de jeux vidéo qui lui fournit un job à ses heures perdues. Il lui arrive aussi d'explorer les anciennes affaires de son père, y compris les listes où celui-ci ordonnait films et jeux vidéo en d'étranges chronologies... La vie suit son cours jusqu'au jour où, dans le ciel, il observe rien de moins qu'un des vaisseaux spatiaux du jeu Armada ! Et si son père avait eu raison d'imaginer que, depuis plusieurs décennies, les œuvres majeures de la pop-culture préparaient l'humanité à une invasion extraterrestre ?
Je signalais en introduction de cette chronique le fait que pour ce livre, l'hommage aux cultures geek tient lieu de fil rouge : en réalité, le travail de documentation consenti par l'auteur se révèle minutieux puisqu'il parvient à relier différents éléments - films, jeux vidéo, mais aussi vulgarisation scientifique - à des fins complotistes ! Selon en effet une démarche que ne renierait pas un Fox Mulder (X-Files), le corpus geek des années 70-80-90 s'interprète ici comme la preuve d'une conspiration dont la clé de voûte n'est rien d'autre que l'Armada éponyme, et dont la vraie fonction est de former les pilotes militaires chargés de défendre la Terre face à l'invasion imminente. Les jeux vidéo étant appréciés par un public d'adolescents et de jeunes adultes, il n'y a rien d'étonnant à découvrir que l'armée spatiale (et internationale) de la Terre est donc en quelque sorte une communauté d'assez jeunes gamers tous plus ou moins geeks, tous plus ou moins conscients d'être inadéquats ou ineptes en société, tous plus ou moins naïfs et donc idéalistes. Sans avoir lu Ready Player One, le décor planté ici me semble rappeler un peu (beaucoup) celui du premier roman d'Ernest Cline : à une Amérique cyberpunk rongée par le pouvoir écrasant d'un capitalisme que plus personne ne conteste, se substitue toutefois une Amérique oubliant tous ses clivages face à une invasion alien... La citation d'Independence Day semble transparente, et la question qui se pose est de savoir si elle est volontaire car parodique, assumée ou inconsciente.
S'il est difficile de trancher quant à cette question, les efforts de l'auteur pour complexifier l'ensemble et en faire un peu plus qu'un roman de geek pour les geeks se voient couronnés de résultats inégaux. La ferveur patriotique de certains de ses personnages dérange dans sa spontanéité, qui s'exprime dans la scène où plusieurs d'entre eux entonnent America, Fuck Yeah ! - titre se voulant parodique mais néanmoins ambigu, les cultures geeks étant par essence faciles à récupérer. Plus convaincant et plus sain, peut-être, est l'exercice par certains personnages d'une forme de doute cartésien face aux informations parcellaires que les chefs de la force spatiale internationale délivrent à leurs pilotes... un doute qui peut aller s'exprimer jusque dans la désobéissance. En effet, Zack ne cesse pas de connecter les points du dessin, jusqu'à découvrir certaines vérités donnant un sens nouveau à l'ensemble. Dans le tissu de mensonges dont tous ne sont pas d'origine humaine, se trouve un fil conduisant à une vérité de laquelle dépend le destin de la Terre et de ses habitants. Est-il possible de le repérer à temps ? De le suivre jusqu'au point décisif ? Parodiant à nouveau certains retournements de situation finaux typiques de nos genres, l'auteur propose une solution générale en forme de bricolage et de rébellion, les geeks étant pour lui rétifs au principe d'obéissance militaire.
Si Armada se lit bien - c'est étudié pour - il est toutefois plus compliqué d'affirmer qu'il s'agit d'un bon livre. Rechercher l'hommage, quitte à parodier, ne garantit pas toujours le succès. Ici, le problème vient bel et bien de l'ambiguïté - sans doute en partie volontaire - qui pèse sur le statut de l'hommage. Il n'est pas anodin que ce roman contant une histoire secrète, reposant sur des demi-vérités se dévoilant peu à peu, ait été publié en plein mandat Trump soit donc au début de notre ère post-factuelle. Comme pour la citation d'Independence Day évoquée plus haut, la question se pose de savoir si cette coïncidence est volontaire, assumée ou inconsciente : au fond, la vérité n'est pas le dernier boss d'un jeu vidéo...
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