Le Courage de l'arbre - Léafar Izen
Je n'ai encore jamais rien lu de Léafar Izen. Ce livre m'a semblé alléchant, d'abord en raison de son titre étonnant et ensuite à cause de sa belle couverture... Mais qu'en était-il donc à l'intérieur ?
Résumé :
Dans ce futur lointain, l'Egrégore est à la fois un réseau de communication interstellaire et la structure politique des Voxels Unifiés. Thyra est anthropologue, son objet d'étude est une communauté humaine ayant oublié la technologie et vivant isolée dans une enclave forestière à la surface d'un corps céleste par ailleurs stérile. C'est que, sur ce rocher spatial comme sur de nombreux autres mondes des Voxels Unifiés, la vie est rendue possible grâce à l'oeuvre du Phytoïde de Katz : une xéno-plante capable de rendre fertiles les environnements inhospitaliers... Un jour, l'impossible se produit : voici qu'on ordonne à Thyra rien de moins que de tuer l'un des membres de cette culture primitive qu'elle étudie. Pourquoi les maîtres de l'Egrégore prétendent-ils que sa cible est contaminée par de la technologie avancée, ce qui nécessiterait son extraction définitive de son clan ? Qui a commis ce crime et met donc Thyra au pied d'un mur qu'elle ne veut pas gravir ? Et surtout : qui croire et où chercher ses alliés dans le tissu de mensonges qu'on lui oppose, alors même que l'Egregore se met à vaciller ?
Qui recherche un space-opera dont le schéma met en danger une structure politico-sociale construite avec soin dès ses premières pages devrait être satisfait par Le Courage de l'arbre : l'auteur imagine un réseau de communication considérant comme une information les données sensorielles mais aussi l'état d'esprit, les souvenirs... et au fond, les émotions de l'individu connecté. L'espèce humaine dans ce roman est subdivisée en rameaux séparés par les distances de l'espace - on comprend qu'il a fallu des centaines de milliers d'années pour occuper une bonne partie de la galaxie - et qui commencent à diverger d'un point de vue biologique... mais qui par l'intermédiaire de l'Egrégore conservent une communauté de pensée y compris langagière, les seules exceptions étant les isolats régressifs des "néo-endémiques". Cela va même au-delà : dans cet univers où les voyages interstellaires sont lents et coûteux, il est néanmoins possible de se déplacer d'un bout de la galaxie à l'autre par l'intermédiaire d'une "émanation" - soit donc, la production presque instantanée à distance d'un corps secondaire (désigné par "prime", à l'instar des fonctions dérivées) disposant des souvenirs de l'individu initial et capable d'échanger ses observations avec lui, au prix de la naissance d'une conscience nouvelle. Il faut dire que l'espace vital n'est pas limité, puisque le moindre astéroïde peut accueillir une communauté florissante grâce au Phytoïde évoqué plus haut : du reste, chacun dispose en réalité d'une forme de presque-immortalité car ses souvenirs stockés à intervalles réguliers peuvent lui permettre - en cas d'accident - de repartir au "dernier point de sauvegarde" comme dans un jeu vidéo... Tout donc ressemble à un âge d'or et l'on se demande comment pareil univers pourrait s'effondrer.
La réponse est pourtant évidente : l'Egrégore n'existe en réalité que grâce aux services gratuits - et mal compris - du Phytoïde de Katz. Que ceux-ci puissent venir à disparaître et tout promet de s'effondrer : c'est en effet ce qu'il se produit, selon un processus contagieux dont la propagation se fait d'après - ainsi que le lecteur attentif le comprendra - la suite de Fibonacci. A l'effondrement écologique va succéder l'effondrement social, selon des vagues de terreur où ces êtres humains si avancés retrouvent le réflexe du "pars vite, loin, et reviens tard" - comportement médiéval observé lors des épidémies de peste et qui a favorisé leur extension, au passage. Le phénomène, pourtant, n'est pas naturel comme un motif mathématique permet de s'en rendre compte vers la fin du récit - mais quelle en est l'origine précise et quelles activités humaines en sont responsables ? En arrière-plan de ce roman, se trouve donc la question environnementale : en effet, l'être humain de nos jours considère volontiers les services écosystémiques - lesquels sont gratuits et irremplaçables - comme acquis... alors que ce n'est pas le cas, dans la mesure où un autre état de l'écosystème rendrait des services différents. Une autre caractéristique de ce texte est aussi très intéressante : c'est la place donnée à l'information et à la façon dont celle-ci peut être dégradée - le procédé d'immortalisation évoqué plus haut perdant au fil du temps de son efficacité - ou contrefaite - l'incompréhension voire le mensonge et les erreurs qu'ils induisent constituant une part majeure de l'enquête. Le corollaire de cette importance donnée à l'information et aux conséquences de son altération, c'est bien sûr le questionnement quant à la nature de la réalité : nos sens nous donnent accès à certains aspects de celle-ci, mais sont-ils fiables et universels pour autant ? Peut-on altérer la réalité en mentant ? Voici des questions qui deviennent cruciales lorsque s'annonce la fin d'un monde... et surtout quand celle-ci est liée à un défaut, ou peut-être au contraire à un excès d'information, soit donc une situation qui n'est pas sans évoquer la nôtre.
Voici par conséquent un récit de space-opera qui parvient, tout en conduisant son lecteur ailleurs dans le temps et l'espace, à évoquer avec une certaine finesse des interrogations très contemporaines. Ce roman parvient à le faire sans trop de longueurs - même si certaines fausses-pistes ne méritaient peut-être pas un développement si long. Les personnages, nombreux sans confusion, parviennent à être attachants y compris lorsqu'ils sont antagonistes... et même quand ils sont introduits de façon tardive. Le voyage est donc satisfaisant de bout en bout, et l'on saura en retirer un peu d'espoir en nos temps si troublés : merci.
Ne manquez pas les avis de : Célindanaë, FeydRautha, le Nocher des Livres, Sometimes a Book, ...
Commentaires
Merci aussi à ces écrivains qui inlassablement tirent le signal d’alarme sur l’état de la planète.