L'Aube - Octavia E. Butler

Il a été question ces derniers temps d'Octavia E. Butler sur ce blog : la parution d'un récent numéro de Bifrost lui étant consacré m'a permis de découvrir sa plume. Le présent roman est le premier volume d'une trilogie, Xenogenesis.
Résumé : 
Lilith s'Eveille prisonnière. Elle sait - sent - que quelque chose d'anormal s'est produit : elle se souvient d'un précédent Eveil, de la présence d'un compagnon dans sa cellule, et d'une voix qui essaie d'établir le contact avec elle. Pourtant, ses mystérieux ravisseurs finissent par se dévoiler à elle : des extraterrestres ont visité la Terre après qu'une guerre thermonucléaire ait abattu la civilisation, et ont sauvé les ultimes survivants de l'humanité. Ils ne l'ont toutefois pas fait sans arrière-pensées : Lilith, que les Oankali semblent avoir choisie pour jouer un rôle très particulier dans le futur partagé qu'ils envisagent avec l'humanité, va devoir jouer leur jeu. Pourra-t-elle dénouer l'écheveau de demi-vérités voire de secrets sans y perdre son âme et peut-être même son humanité ?
Dans Enfants de sang, Octavia E. Butler donnait à lire un récit d'horreur extraterrestre inhabituel et très convaincant. Si certains aspects du schéma de L'Aube font penser à cette nouvelle, ce roman s'en éloigne toutefois : d'abord parce qu'il ne s'agit pas tout à fait d'horreur... et ensuite parce que le temps fictionnel exploité, plus long, permet de préciser la nature des relations entre les êtres humains captifs et leurs partenaires extraterrestres. Car, oui, en biologie le parasitisme est une relation entre deux partenaires... et cette relation entraîne l'apparition d'un nouveau phénotype tant chez l'hôte que chez le parasite. Les Oankali se caractérisent par leur apparence grotesque - propre à inspirer la terreur chez l'être humain - mais aussi, et surtout, par leur approche moléculaire et sensitive de la biologie. Possédant depuis toujours - ou l'ayant acquise lors d'un précédent "partenariat commercial" - une aptitude à moduler la biochimie et la génétique de leurs interlocuteurs, ils sont capables d'éveiller des émotions artificielles, de dissiper la douleur et d'accélérer la guérison... mais aussi peuvent transférer des gènes étrangers dans les cellules de leurs hôtes. Leur plan semble monstrueux, puisqu'il s'agit au fond de remodeler en profondeur l'espèce humaine, tant sur le plan comportemental que sur le plan génétique : le parasite, qui diminue de toute façon la valeur sélective de son hôte, l'amène à entreprendre parfois des actions auto-destructrices. Toutefois, ce propos génétique n'est pas la direction où l'auteure de ce roman désire emmener son lecteur.

Parasites génétiques, les Oankali désirent jouer un jeu de dupes avec leurs "partenaires commerciaux" du moment : il faut que les êtres humains apportent une certaine forme de consentement à l'échange espéré. L'espèce humaine est au bord de l'extinction - consumée par sa propre folie - et le peu qu'elle pourrait échanger se trouve au fond de son ADN. Les bienfaits proposés par les Oankali semblent évidents, et la façon dont ils sont apportés au fur et à mesure favorise l'acceptation de leur offre par leurs hôtes. Ceux-ci en effet commenceront par être méfiants ou dubitatifs : les premiers cadeaux, de nature biochimique, augmentent certaines capacités intellectuelles ; plus tard, on "déverrouille" au niveau génétique des aptitudes silencieuses mais présentes ; ensuite, on apporte des talents nouveaux et inconnus par transgenèse somatique ; enfin, on pourra envisager l'application de la transgenèse aux cellules germinales et donc aux générations futures. Le processus est long, il nécessite un travail minutieux qui devra impliquer l'assistance d'êtres humains : Lilith a été choisie à cette fin - et ce n'est pas un hasard si elle porte le nom de la créature qui, selon certaines traditions, fut la première épouse d'Adam et son égale car façonnée dans la glaise comme lui ! - et semble osciller quant à son rôle dans ce glissement imposé à l'humanité. Si la relation proposée par les Oankali s'apparente à du parasitisme génétique, elle s'interprète bien vite comme une relation abusive : c'est parce qu'au fond les Oankali aiment les êtres humains... qu'ils désirent les modifier à leur image, et qu'ils s'apprêtent à le faire peu à peu.

C'est en réalité cette relation de domination qui se trouve au cœur du roman, comme c'était d'ailleurs le cas dans Enfants de sang. S'il peut y avoir une forme d'attachement - voire d'affection - entre les deux partenaires inégaux, l'interprétation de ces sentiments diffère entre dominant et dominé. Pour le premier, ils sont la fondation d'une exploitation durable : il s'agit de faire en sorte que le second, submergé par les avantages qu'il trouve à la relation d'exploitation, admette les inconvénients comme un mal nécessaire et finisse par confondre parasitisme et symbiose. Mais pour les dominés, les sentiments qui peuvent exister pour les dominants constituent un frein à la prise de conscience de leur statut : ils interdisent de voir le système au-delà des murs si agréables de la maison commune, et par conséquent pour se délivrer en tant que groupe il faudra s'opposer aux individus si accueillants qui le consolident. On comprend à demi-mot que les Oankali ont déjà joué à ce jeu par le passé, sans doute bien des fois, et sur bien des mondes qu'ils ont fini par coloniser à leur façon. Face à pareille mécanique, à même de digérer n'importe quelles individualités comme n'importe quels génomes, les survivants de l'espèce humaine ont-ils la moindre chance ? Pour le moment, au terme de ce premier volume, il semble y avoir peu de raisons d'espérer même si la première condition de la révolte - l'envie, souvent mâtinée de dégoût - est présente chez Lilith alors même qu'elle est l'une des préférées des Oankali.

La biologie semble, pour Octavia E. Butler, tenir lieu d'argument pour parler de relations de domination. L'Aube est un roman atypique rempli de promesses : on attendra donc de Xenogenesis qu'elle soit tout aussi ambitieuse que son ouverture...

Ne manquez pas non plus l'avis de Gromovar, celui de FeydRautha, ...

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