Les Anneaux de Pouvoir saison 1
La difficulté pour le blogueur, parfois, n'est pas tant de terminer un retour sur une oeuvre de l'esprit que de le commencer. Je me trouve ici dans ce cas et devrai donc le faire en invoquant une familiarité relative avec le légendarium de Tolkien - que je pratique depuis mes dix ans. Les films de Peter Jackson - ceux d'il y a vingt ans, pas ceux d'il y a dix - m'ont laissé une impression persistante, à tel point qu'il m'est désormais difficile de repenser à certains personnages ou lieux de la Terre du Milieu sans évoquer les visages des acteurs ou les choix graphiques faits à l'époque. Toutefois, ces trois réussites bien que marquantes soulignaient un manque, pour les lecteurs informés. Le Seigneur des Anneaux n'est que la pointe émergée de l'iceberg dans l'oeuvre de Tolkien et pour l'adolescent que j'ai été, la lecture postérieure du Silmarillion avait constitué une révélation. Le contexte du Seigneur des Anneaux devenait d'un seul coup plus intelligible et certains symboles prenaient tout leur sens. Et j'ai rêvé, je l'avoue, d'une adaptation du Silmarillion - malgré ses imperfections que d'autres sauront pointer mieux que moi - au cinéma... pour pouvoir y éprouver la même sensation d'accomplissement. Peter Jackson ne l'a pas fait - une question de droits non cédés par les héritiers de Tolkien, à ce qu'il paraît... - ce que je regrette encore et toujours. Néanmoins, la préparation puis la sortie des Anneaux de Pouvoir dont je vais parler ici a éveillé mon attention. Qu'allait-il être possible de faire sans toucher au répertoire du Silmarillion ?
Résumé :
Jadis, les Elfes ont pourchassé en Terre du Milieu le premier Seigneur des Ténèbres, après qu'il ait éteint la lumière de leurs Arbres... Des millénaires après la chute de Morgoth, la princesse elfique Galadriel n'a rien oublié de la guerre et des pertes assumées par son peuple. C'est dans les plaines glacées du Forodwaith qu'elle recherche les traces de Sauron, premier lieutenant de Morgoth et porté disparu au terme de la première guerre. Elle est l'une des rares sinon la seule de son peuple à croire que cet esprit malfaisant soit encore à l'oeuvre en Terre du Milieu. Son obstination irrite le Roi Gil-Galad qui choisit de rappeler au Lindon les troupes d'occupation des Terres du Sud - les Suderons étant les descendants des Hommes autrefois au service de Morgoth - et de renvoyer Galadriel en Extrême-Occident, où elle pourra trouver enfin la paix. Mais Galadriel, toujours désireuse de venger son frère Finrod jadis tué par Sauron et persuadée de la valeur de ses intuitions, s'échappe du bateau qui la conduit aux Terres immortelles... Sa route l'amènera bientôt à prouver que le mal est de nouveau présent en Terre du Milieu et même ailleurs. Pour quelle raison Gil-Galad était-il si pressé de déclarer la guerre finie ? Et surtout... les Elfes et leurs alliés humains parviendront-ils à mettre fin aux machinations de Sauron avant qu'il ne soit trop tard ?
Selon le dicton, traduire est trahir : j'ai souvent l'envie de dire qu'adapter c'est trahir aussi, la simplification nécessaire pouvant se révéler parfois excessive. Or ici, le matériel initial était rare et peut-être pauvre ou peu cohérent. Je mesure la tâche immense qui a dû être celle des scénaristes, lesquels ont dû parfois créer des personnages et des situations à partir de rien...
De ce fait, peu de choses familières au lecteur du Seigneur des Anneaux, du Silmarillion et des Contes et Légendes inachevés apparaîtront ici à l'identique et certaines sembleront même dénaturées. Il s'avère en fait, et ce dès le premier épisode, que cette série tient plus de l'oeuvre inspirée par plutôt que de l'oeuvre adaptée de : cela implique d'adopter un filtre pour en parler avec justice - et pourtant, l'irruption de personnages et de lieux connus vient rendre cette tâche bien difficile. Pour apprécier Les Anneaux de Pouvoir, il faudrait savoir oublier ce que l'on sait ; mais pour avoir envie de regarder cette série, on doit se rappeler à chaque instant d'où elle vient. L'exercice va bien vite se révéler ardu, surtout que la chronologie interne de la série entre tôt ou tard en contradiction avec ce que l'on connaît de celle de la Terre du Milieu : même si le chapitre de la chronologie du Second Âge est plus succinct que celui du Troisième dans les annales du Seigneur des Anneaux, certains événements y sont très bien identifiés à commencer par le retour de Sauron et la fabrication des Anneaux éponymes : ils sont précoces et précèdent en réalité de milliers d'années la présence de personnages tels que ceux de Miriel, Pharazôn et Elendil. Confrontés au problème de la rareté du matériau littéraire, les scénaristes ont dû faire des choix et concentrer les événements décisifs du Second Âge vers sa fin. A l'accélération du temps va répondre une réduction de l'espace : il semble que les personnages soient capables de se déplacer à une vitesse parfois exceptionnelle, Galadriel et Halbrand voyageant par exemple des Terres du Sud jusqu'en Eregion en quelques jours. Un Odieux Connard de ma connaissance parle parfois de "téléportation" dans des cas similaires : les exemples concordants ne manquant pas dans cette première saison, j'en déduis qu'il l'emploierait sans doute bien volontiers ici.
De la même façon, il était nécessaire pour donner de la chair à cette intrigue d'associer aux personnages elfiques - et donc immortels - des personnages humains. Certains d'entre eux étaient obligatoires, tels que les Númenoréens cités dans les annales du Seigneur des Anneaux : à ceux nommés plus haut on associera Isildur présent lui aussi, mais tous apparaissent pour le moment assez énigmatiques puisque leurs motivations ne sont dévoilées que de façon tardive. D'autres personnages humains doivent être originaux, puisque Tolkien dit lui-même que le Second Âge est une période sombre pour les Hommes de la Terre du Milieu : les Suderons, incarnés par les habitants d'un village assez prospère, semblent partagés entre leur héritage et leur aspiration à une vie paisible ou du moins ordinaire. On signalera bien sûr l'inévitable voyage chez les Nains de la cité souterraine de Khazad-dûm - très loin encore de son futur obscur où elle sera connue sous l'inquiétant nom de Moria - lequel donne lieu au gimmick de l'amitié teintée de rivalité entre un Elfe et un Nain, mais aussi l'irruption d'une tribu de Hobbits nomades. On signalera enfin quelques apparitions bizarroïdes, à commencer par celle d'un individu barbu tombé du ciel et qui suit la tribu hobbite au cours de sa migration, mais aussi et surtout celle d'Elfes inquiétants - soit à cause de leur présence parmi les Orcs, soit à cause de leurs actions, mais en tout cas toujours en raison de leur affinité pour le mal. Si les relations entre ces différentes individualités deviennent plus lisibles avec le temps, il n'en reste pas moins que certains personnages semblent avoir été créés pour les besoins de la saison voire d'un épisode en particulier : une facilité scénaristique toujours regrettable puisqu'on pourra dire qu'elle sert à meubler...
Mais que raconter dans ce décor et avec ces acteurs ? Comme rappelé plus haut, le Second Âge selon Tolkien est celui de la création des grands Anneaux, celui où Sauron fait le choix de se lier tout à fait à la matière afin de mieux pouvoir prendre l'ascendant sur ses ennemis - lequel choix inclut un risque fatal, comme le lecteur de Tolkien le sait - et celui qui se conclut par l'ultime alliance des Hommes et des Elfes. Retarder la narration aux derniers siècles - ou peut-être même aux dernières années ! - du Second Âge implique de ramasser l'intrigue sur un temps fictionnel réduit, ce qui constitue un risque en tant que tel. Si le grand schéma de cette série est connu - on sait qu'on verra la fabrication des Anneaux, dont l'Unique, et que Sauron devra être vaincu à la fin - nul ne sait quel chemin sera pris pour arriver à ces objectifs. Les péripéties de cette saison - qui conduisent à identifier quel personnage n'est autre que Sauron déguisé - finissent par devenir assez répétitives. Le voyage à Númenor ne donne pas l'impression de visiter la civilisation la plus puissante et la plus orgueilleuse de cet univers ; les excursions à Khazad-dûm lassent assez vite une fois épuisés les reproches de Durin à Elrond ; le jeu de piste qui consiste à identifier qui est qui - et où se trouve où - ne suffit pas à éveiller l'intérêt de façon décisive. Que reste-t-il au fond après huit épisodes ? Quelques images assez belles, par chance, une ambiance musicale qui tape juste parfois... mais peu d'interrogations ardentes qui justifieraient à elles seules l'existence de cette série, et ce malgré la révélation tardive du vrai souci de Gil-Galad confronté en réalité à un périlleux dilemme.
Juger une série sur sa première saison est un exercice bien difficile, que je serais présomptueux d'entreprendre. Il faudra voir quelles suites seront données à ce début - même si, d'ores et déjà, ma conviction n'est pas acquise à ce stade...
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