What was your inspiration ? - Sloane Leong
Cette nouvelle, publiée dans le numéro de Septembre/Octobre 2022 de la revue Analog, est sauf erreur le premier texte qu'il me soit donné de lire de Sloane Leong. Son titre peut se traduire par De quoi t'es-tu inspiré ?
Résumé :
Shay est une VRtiste renommée. Elle publie sur le Stream des oeuvres qu'elle conçoit longtemps à l'avance, et qu'elle accompagne comme ses collègues des enregistrements permettant de connaître son état d'esprit lors de la création. Ce jour est un grand jour : c'est celui où elle va créer un chef-d'oeuvre, qui devrait lui apporter la consécration...
L'art n'est pas que le fruit de l'artiste : c'est aussi le produit d'une époque et il est souvent difficile d'interpréter une oeuvre sans avoir connaissance de son contexte. La réalité virtuelle invoquée dans cette nouvelle, associée aux capteurs de mémoire que l'artiste porte aux tempes, rend possible des prouesses et donne accès à des champs artistiques inconnus jusqu'ici. Toutefois, l'époque elle-même se met à questionner l'artiste au-delà de son travail : il s'agit d'inférer ses idées à partir de l'oeuvre et surtout des enregistrements qui l'accompagnent comme une notice. Ainsi, l'oeuvre se fait presque secondaire dans le cadre de la performance globale.
Il paraît que des gens trouvaient intelligent de dire à Picasso que ce qu'il dessinait ressemblait un peu à ce que leurs enfants produisaient, une façon détournée de lui signifier qu'ils le considéraient comme un fumiste : la diversification des moyens d'expression artistique a permis de raréfier pareilles critiques - lesquelles sont de toute façon disqualifiées par avance puisqu'elles ne concernent pas l'oeuvre. Mais à partir du moment où les émotions de l'artiste, ses engagements et même ses arrière-pensées viennent à faire partie de la performance à l'égal de l'oeuvre elle-même, il devient possible de critiquer l'oeuvre et l'artiste pour des raisons qui n'ont rien à voir avec eux. L'artiste a-t-il eu quelque pensée fugitive mais coupable au cours de son expression ? Voici que l'oeuvre par ailleurs innocente se fait scandaleuse, obscène, ignoble. Et voici que l'artiste se trouve condamné par les voix anonymes des réseaux sociaux, qui font désormais plier jusqu'aux institutions, et rendent son travail impossible à force de shitstorm.
Non sans une bonne dose d'humour noir, l'auteure de cette nouvelle nous rappelle qu'il est le plus souvent souhaitable de séparer l'oeuvre de l'artiste - mais qu'il est parfois difficile de les séparer de leur époque. Bravo !
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