La porteuse de mort - Stark Holborn
Quand j'ai fait part de mon intérêt pour ce livre à son éditeur, celui-ci m'a dit - en substance - qu'il pensait que ce ne serait pas pour moi. La lecture est faite et donc, reste à savoir ce qu'il en fut...
Résumé :
Factus : une lune aride, aux confins de l'espace humain, où survit une colonie d'autant plus fragile et déprimante que ses principales ressources alimentaires ne sont autres que celles des fermes d'insectes. Sur Factus, les enfants sont rares mais les périls sont légion - et les occasions de mourir, de façon volontiers douloureuse et violente, le sont tout autant... car les rancœurs et les atrocités de la guerre interstellaire entre les Limites et l'Accord sont encore dans toutes les mémoires. Dix Low, alias "Doc", a un Compte à équilibrer avec son passé violent - aussi, quand la route de son mulet croise des gens en détresse, elle se doit de les aider au mieux de ses capacités. Or, la voici qui découvre sur le site d'un crash rien de moins qu'une enfant-soldat de l'Accord... et même, une Générale des troupes d'élite de ce camp qui a gagné la guerre. Quelque chose ne colle pas : pourquoi la Générale se trouve-t-elle perdue sur Factus, alors que l'Accord est réputé avoir honoré ses héros de guerre ? Pour le savoir, Dix Low et la Générale Gabriella Ortiz vont devoir entreprendre un dangereux voyage - qui pourrait bien les conduire au-delà des mensonges et de la folie...
Un monde sableux et poussiéreux, pas assez terraformé, qui pullule de dangers et de fanatiques : la citation dunienne semble assez transparente, et pourtant le propos de ce livre diffère assez de celui de Dune pour que cette chronique ne se limite pas à un empilement de comparaisons. Arrakis est certes hostile, mais elle est d'une richesse incomparable... alors que la dangereuse Factus est avant tout inutile. Elle se situe aux marges de la civilisation et ne produit rien d'intéressant, à tel point que l'Accord qui gouverne désormais l'espace humain n'y entretient qu'une présence réduite et même symbolique. Factus est donc la frontière, au sens que ce mot prend dans l'imaginaire américain, et c'est par conséquent la raison pour laquelle on réalise assez vite être en train de lire un western habillé en planet-opera. On appelle "mulets" ou "juments" les divers types de véhicules terrestres ; les bourgades possèdent un saloon ; il n'est pas impossible de tomber sur un ranch au beau milieu de nulle part ; on peut y attaquer les trains pour leur cargaison ou pour redresser les torts, voire les deux à la fois ; les gens y sont taiseux, certains sont pourris jusqu'à la moelle et d'autres au contraire loyaux jusqu'à la mort... Il n'y manque au fond que les natives pour compléter le tableau - et encore, ce manque n'est pas tout à fait certain. Comme tout western réussi, La porteuse de mort est l'histoire d'un dépassement et d'un rachat : pour sauver la Générale, Dix Low va se rendre au-delà de ses aptitudes et de ce fait compenser les péchés qui noircissent son âme.
Le space-opera possède des liens intrinsèques avec le western - comme en attestent certains éléments de Star Wars par exemple - et ces liens furent l'objet de critiques, dès avant l'Âge d'Or de la SF des années 30, comme le rappelait le recueil The space-opera renaissance. Le héros - ou l'héroïne - du western est volontiers fatigué de sa vie et en tout cas du monde, un état d'esprit usé qui semble a priori peu compatible avec l'appel des étoiles. Pourtant, la synthèse entre les deux s'est souvent révélée féconde. L'individu est seul, aussi bien au Far West qu'entre les colonies déshéritées de Factus, et sans aide il ne peut survivre (et accomplir ses objectifs) qu'à la seule force de sa ténacité. Les plaies de Dix Low - son passé douteux et violent, qui se dévoile peu à peu - constituent en réalité une véritable force. Les crimes dont elle s'est rendue coupable impliquent un châtiment, qu'elle porte avec elle et qui lui sert de boussole. Le Compte auquel on la voit se référer souvent n'est pas un concept religieux ni même une éthique de vie : c'est une pression presque physiologique l'incitant à sauver plus de vies qu'elle en a autrefois éliminées. Faire mal et tuer lui sont désormais insupportables - mais mourir, ce serait laisser le Compte non équilibré : sentence insupportable qui confirmerait le jugement autrefois porté sur elle par les vainqueurs de la guerre, qu'elle fuit encore et toujours. Il est intéressant de remarquer que la plupart des personnages positifs (au sens de : pas détestables) de La porteuse de mort, sinon tous, partagent une éthique assez similaire et font en sorte d'aider qui en a besoin... parfois au péril de leurs vies.
Dix Low est folle, à sa façon, mais tous les habitants de Factus le sont donc aussi à un titre ou à un autre. Sur la frontière, la présence et l'influence humaines sont assez rares pour que prospèrent des rumeurs, des légendes... voire des terreurs qui trouvent à s'exprimer chez des clans aux coutumes incompréhensibles et dangereuses - ce qui pourrait s'apparenter aux natives évoqués plus haut, à ceci près qu'ils ne sont pas autochtones - mais aussi sous forme d'aberrations physiques ainsi qu'à des entités intelligentes mal définies nommées les Si... qui prospèrent dans les interstices du déterminisme apprécié par l'être humain. L'influence de ces êtres ancre le roman dans la SF et lui permet d'éviter de n'être pas plus qu'un décalquage de western. Si la folie n'est jamais très loin pour le poor lonesome cowboy, elle possède ici un caractère concret car extérieur à l'expérience du présent de Dix Low : lorsqu'une situation échappe à toute forme de contrôle - et devient donc stochastique - voici qu'elle envisage les issues possibles, dont certaines sont très négatives. Le fait est que les Si, à l'origine de cette forme de prescience - qui est au fond subie tout comme celle de Paul Atréides - orientent bel et bien Dix Low vers l'issue qu'ils désirent : pour une raison ou pour une autre, ils ont jeté leur dévolu sur elle... et leur aide n'est sans doute pas gratuite. La rédemption qu'elle recherche aura-t-elle été acquise avant qu'ils ne réclament leur dû ? En d'autres termes, Dix Low n'est-elle pas en train de sacrifier par avance l'humanité que sa rédemption est sur le point de lui restituer ?
La porteuse de mort s'avère atypique et même étrange. Par moments un peu long, il parvient à ne pas perdre de vue son sujet toutefois : là où le western et le space-opera se rejoignent de façon décisive, c'est pour parler d'humanité, ce que ce livre fait sans défaut.
Ne manquez pas les avis de : FeyGirl, le Nocher des livres, ...
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