Le garçon avait grandi en un gast pays - Alex Nikolavitch

Alex Nikolavitch est peu passé par ici : le revoici dans un genre tout différent de son Eschatôn, puisqu'il est question de légende arthurienne dans ce roman au nom à rallonge...
Résumé :
Perceval vit seul avec sa mère dans une forêt grise, sans saisons ni réel soleil. La vie qu'il y mène est chiche et sans saveur... aussi est-il fasciné par le cercle de pierres où, malgré les avertissements de sa mère, il accède à des visions d'un monde autre car fait de couleurs et de mouvement. Un jour, n'y tenant plus, voici qu'il franchit la frontière entre les mondes : il n'est pas long à rencontrer les chevaliers servants du roi. Deux le prennent pour un simple d'esprit et une perte de temps - mais le dernier, un certain Gawain, s'avère plus bienveillant à son égard. Perceval ne le sait pas encore, mais cette rencontre va façonner son destin comme celui du royaume - et peut-être même celle d'autres mondes...
Île de Bretagne, quelque part dans une époque trouble et troublée chevauchant l'Antiquité finissante et le Haut Moyen-Âge : il semble acquis que l'épopée du roi Arthur et de ses chevaliers de la Table Ronde n'est rien d'autre qu'un mythe... Pourtant, Nikolavitch parvient - en insérant cette histoire de héros ignorants ou las d'eux-mêmes dans un contexte où l'Europe occidentale évolue à grande allure, entre mouvements migratoires et changements de culte - à lui conférer une certaine substance presque palpable. Il joue en effet sur l'opposition entre la forêt lugubre de Perceval, où il vit à l'abri du monde et de ses tracas... et le royaume de Bretagne, si divers et coloré, dont le roi est pourtant piégé dans son propre destin. De cette opposition, si nette aux yeux de Perceval qui ne connaît rien des affaires du monde des hommes, sortira une compréhension nouvelle : la couleur a un prix, et c'est celui du chagrin et de la perte. Se faire des amis, c'est devoir admettre qu'on peut les perdre ; vivre dans les couleurs, c'est accepter de les voir se ternir ou être souillées ; vivre dans le monde des hommes, c'est avoir à tolérer la violence et la mort. Et qui hésite jusqu'au bout à choisir, ou n'assume pas son choix, ne s'épargne pas la douleur des conséquences... comme devra le découvrir Perceval.

Mais que représente au fond cette dichotomie entre la forêt et le pays ? Elle est en réalité liée à deux dimensions distinctes : celle qui sépare le monde des hommes et celui des fées... mais aussi celle qui sépare les autochtones de la Bretagne que l'on ne dit pas encore Grande, et les nouveaux arrivants que sont les Angles et les Saxons. Perceval - qui a grandi dans une forêt enchantée - sait percevoir la magie des cercles de pierre, des amulettes et des statues (et même celle des églises dont il ignore pourtant qu'elles sont vouées à un dieu unique) : à ce titre, il est affin des fées dont il ne craint pas les pouvoirs et les mauvais tours. Et pourtant, son choix étant fait dès son évasion de la forêt, il finira par être malgré tout un jouet dans les mains de la Morrigane... puisque la plus sûre façon d'affirmer une dichotomie est encore de creuser la frontière entre les deux pôles de celle-ci, soit donc dans le cas présent d'isoler pour de bon la magie de l'humanité. L'autre dimension, que l'on pourrait presque dire démographique, renvoie aux flux de population qui remanient l'Europe du Haut Moyen-Âge. Aux substrats celtique et romain se superpose l'apport germanique, un mélange qui ne se fait pas sans heurts ni alliances inattendues : c'est ainsi que les deux Murs (celui d'Hadrien comme celui d'Antonin) marquent encore une sorte de frontière entre le pays breton et le pays picte, influencés tous deux par l'héritage romain et menacés aussi par les nouveaux arrivants.
 
Comme toute épopée mythique, ce livre admet une fin douce-amère puisque Perceval a grandi et a compris : son destin ne passera plus par la forêt enchantée, puisque la magie quitte le monde humain... et quand il s'avère que la bannière de Pendragon tombe au cours d'une terrible bataille, il devient clair qu'il lui revient de réparer ce qui est brisé - c'est-à-dire, de ravauder le tissu que forment les peuples divers des îles britanniques. Ce que nous montre Alex Nikolavitch, au fond, c'est que pour devenir un héros il faut d'abord apprendre à être humain... et à ce jeu, Perceval ne peut que devenir le meilleur. La leçon est triste, mais elle est belle : merci.

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