Terrariums - Romain Benassaya
J'ai lu ce livre pour le compte de la revue Bifrost. Un an plus tard, voici donc le retour de chronique - en version augmentée, s'il vous plaît !
Résumé :
L'Espace humain rassemble une trentaine de mondes, où prospère une société bien plus équilibrée que celles du Système solaire ravagé par les guerres. Aux confins du dominion humain, se trouve une planète que l'on appelle Kerana : une étrange pyramide s'y élève, preuve indiscutable du passage d'une autre intelligence. Or, jusqu'à présent l'espèce humaine n'a découvert que des biosphères dépourvues de conscience et d'intelligence... Opportunité nouvelle d'évolution pour l'Espace humain ? Ou bien ignoble piège cosmique ? Ou encore... les deux à la fois ?
La question de Fermi est simple à formuler, mais comme tout bon problème scientifique elle n'admet pas de réponse évidente. Pourquoi n'avons pas encore été visités par des représentants d'une civilisation extraterrestre plus avancée que la nôtre ? Réduits aux hypothèses nous pouvons supposer par exemple que les extraterrestres ne veulent pas nous rencontrer, ou qu'ils le voudraient mais ne le peuvent pas, ou qu'ils le voudraient et le pourraient mais que quelque chose d'inaccessible à notre imagination fait obstacle au contact... ou même qu'ils n'existent pas. La dernière possibilité semble en première approximation la plus inquiétante : l'espèce humaine possède un certain instinct grégaire, et la perspective de ne pas avoir de semblables s'avère déplaisante.
La résolution de la question de Fermi se trouve, sans qu'elle soit sauf erreur citée, au cœur de ce texte de Romain Benassaya. Un artefact extraterrestre, perdu sur une planète lointaine, témoigne que quelqu'un d'autre est passé par là. S'opposent alors deux approches : étudier l'objet, avec tous les risques associés, pour savoir quelles étaient les intentions des lointains prédécesseurs de l'humanité en ces lieux reculés... ou bien l'ignorer tout à fait. Le lecteur au fait des très vieux mythes que recèlent les contes dits "de fée" sait que la première option est le chemin le plus sûr vers l'horreur (quand on ne comprend pas quelque chose, mieux vaut ne pas y toucher) mais que ce chemin est aussi celui qui conduit à la résolution heureuse à travers le cauchemar ("ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants"). Ce n'est donc pas une surprise de constater que le schéma de l'auteur est presque un calque de ce type de conte. Les personnages humains se mettent en danger (pas qu'une fois, d'ailleurs) en raison de leur curiosité, en payent le prix (plusieurs fois, là encore) et finissent par trouver la "bonne solution" au fil des épreuves. Celles-ci tiennent à la fois de la punition (parce que l'échec, moins qu'imposé par les circonstances, est construit par celui qui l'éprouve) et de l'étape dans le chemin de vie (car les personnages qui les subissent deviennent peu à peu plus qu'humains). L'ambition de Romain Benassaya se dévoile dans la seconde moitié du roman : Terrariums est un space-opera aux accents évhémériques, mais dont les dieux-en-devenir sont souvent confrontés à leur incomplétude quand ce n'est pas à leur incompétence.
Terrariums, afin de satisfaire son ambition, jongle avec plusieurs époques et deux lignes narratrices impliquant les mêmes personnages. La première ligne démarre au moment de l'irruption de l'artefact extraterrestre dans l'Histoire humaine, quand les personnages centraux de l'intrigue se rendent sur place pour sceller le destin de l'espèce toute entière ; la seconde se passe dans un futur difficile à définir (au moins dans un premier temps) où les mêmes personnages s'éveillent avec des souvenirs tronqués - voire même truqués - dans un terrarium où tout laisse à penser que quelqu'un les regarde et les étudie. L'alternance entre les deux lignes est matérialisée par l'emploi de symboles associés à l'en-tête du chapitre, que l'on repère aussitôt et dont on comprend la valeur narrative avant d'en saisir le sens. La structure est originale et s'adapte assez bien aux intentions de l'auteur. Toutefois, les informations capitales à la résolution du problème ne sont pas toujours distillées avec le soin que l'on aurait pu espérer, voire dans un cas extrême sont assénées au lecteur sans aucune préparation ou indice antérieur. Le tonus du texte s'en ressent, les péripéties liées à l'exploration du "terrarium" (le pluriel du titre ayant sa justification interne) s'étirant parfois un peu trop en longueur et leurs scènes d'action n'apportant de toute façon qu'assez peu à la résolution de l'énigme du roman. Quant à la question de Fermi, elle trouvera des éléments de réponse que le lecteur de cette chronique devrait savoir deviner - mais que l'auteur a le bon goût de dépasser, optimisme des contes dits "de fée" oblige...
Terrariums laisse donc une impression mitigée. L'évhémérisme en contexte SF, ça peut être passionnant (voir pour cela Le monde du fleuve de Philip José Farmer), et la question de Fermi pouvait fort bien s'y combiner avec bonheur : on pourra regretter ici que l'exécution n'ait pas tout à fait rendu justice à l'ambition.
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